Avec un album comme celui-ci, qui reprend les onze mêmes chansons dans deux versions très différentes, pas évident de savoir par quoi commencer pour en faire la chronique ! Tout d'abord, en plus de l'idée des deux versions, il faut savoir que, comme c'est souvent le cas pour Arjen Lucassen, The Diary est un concept-album. Il nous raconte l'histoire d'amour d'un marin hollandais du 17ème siècle et de sa femme. Au travers d'un échange de lettres, lui va raconter le long voyage de plus de deux ans qui le fera passer par l'Inde et l'Afrique, elle, restée à Amsterdam, lui parlera de sa vie et de ses espoirs.

Si la version Storm (metal) semble plus attrayante au premier abord car plus rythmée et « catchy », il serait dommage de laisser de côté la version Gentle (folk & acoustique). Chacune d'elles présente ses points forts et donne une tonalité différente à l'histoire et à l'album. La version Gentle, douce et mélancolique pourrait être la bande son d'un film qui raconterait l'histoire du point de vue de la femme. Alors que la version Storm, plus dramatique, serait la bande son d'un film d'action qui se concentrerait sur le voyage du mari et des dangers qu'il croise sur sa route.

Comme l'a voulu Arjen Lucassen, cet album est un écrin pour la voix si particulière d'Anneke. Tout au long de l'album, elle est toujours mise en avant, que ce soit au niveau de la production ou de l'écriture, le chant semblant vraiment être l'élément principal de chaque chanson.

Le résultat c'est un album Storm dans la plus pure tradition du heavy metal symphonique (Lucassen a, pour la première fois, travaillé avec un orchestre symphonique). En effet avec des morceaux à la structure relativement simple, qui ne dépassent jamais les six minutes, Lucassen a laissé de côté ses influences progressives pour mettre l'accent sur les mélodies et le côté dramatique de cette histoire. On y retrouve par contre la forte influence folk développée dans la version Gentle. Sur les morceaux chantés du point de vue de la femme (notamment « Heart Of Amsterdam »), c'et un style médiéval/renaissance , sur « Shores Of India », c'est bien sûr une ambiance indienne. Enfin on retrouve aussi des percussions parfois tribales, parfois militaires rappelant le rythme du bateau.

Cette voix unique, et l'idée d'un thème global développé sur tout l'album, peut donner une sensation de trop grande uniformité. Mais après plusieurs écoutes, on commence à vraiment apprécier la diversité des influences et des ambiances, correspondant aux étapes du voyage, et qui font la richesse et l'intérêt de cet album. Dans ce sens, les trois morceaux choisis pour promouvoir l'album : « Endless Sea », « Heart Of Amsterdam » et « Shores Of India », pour lesquels des clips ont été réalisés, ont été parfaitement choisis.

Ce n'est d'ailleurs probablement pas un hasard si ce sont les morceaux qui m'ont accroché en premier. Et s'il n'y a, à mon avis, aucun morceau vraiment faible dans cet album, j'ai ensuite rapidement eu un coup de coeur pour « The Greatest Love » et son refrain lancinant, « The Eyes Of Michiel » un morceau plein d'espoir et de douceur sur la maternité, et « Brightest Light ».

Au chant et à l'écriture des paroles, Anneke Van Giersbergen n'a pas non plus démérité. Dans le cas d'un album concept, les paroles sont toujours particulièrement intéressantes à lire, d'autant que celles-ci racontent une histoire. Anneke a réussi à marquer une vraie différence dans l'écriture entre les lettres écrites par le marin et les autres par sa femme. Les unes étant assez dures, les autres plus joyeuses et positives. Son chant est, quant à lui, comme toujours parfait. Il est maîtrisé, subtil et adapté à chacune des ambiances explorées par le duo.

Avec tout ça, on pourrait presque croire que j'en ai oublié la version Gentle ! Ce n'est pas le cas puisque bien sûr, en ce qui concerne le chant, les paroles ou les mélodies, mon avis sera forcément le même. C'est en revanche sur l'arrangement acoustique et la présence encore plus marquée des instruments folkloriques qu'il y a autre chose à dire. Tout d'abord, si pour les purs metalleux, cette version peut sembler moins intéressante et un peu frustrante, elle a tout de même de vraies qualités. Elle permet notamment de mieux apprécier toutes les subtilités des instruments folkloriques ainsi que des bruitages, comme le bruit des vagues ou les cloches dans l'épilogue, qui participent aussi de l'ambiance de l'album.

C'est aussi l'occasion d'entendre les morceaux sous un autre angle. Dans « Shores Of India », par exemple, la mélodie est plus évidente dans la version Gentle. L'influence indienne y est aussi nettement plus présente et l'on pourrait presque y voir des similarités avec les albums The Book Of Secrets ou The Mask And Mirror de Loreena MacKennitt et son mélange d'ambiance orientale avec une voix aux accents plutôt celtes. De la même façon, même si cette version perd en efficacité par rapport à la version Storm, la version Gentle de « Heart Of Amsterdam » met encore plus avant le style Renaissance/Médiéval de la chanson et nous permet de mieux se plonger dans l'époque.

En bref, même si The Diary est le premier album de ce nouveau groupe qu'est The Gentle Storm, il semble plutôt être l'aboutissement d'années de collaboration entre ces deux grands noms de la scène metal hollandaise. Les amoureux de la voix si unique d'Anneke et des grandes envolées dramatiques d'Arjen Lucassen ne pourront que se laisser séduire par au moins l'une ou l'autre des versions de cet excellent album-concept. Pour les autres, The Diary pourrait bien être la porte qui vous fera entrer dans le monde de ces deux artistes. Ne reste qu'à espérer que The Gentle Storm ne se contentera pas d'un seul album.