Sabrina : Une des particularités de cet album est que vous en avez réalisé deux versions, une « gentle » (acoustique) et une « storm » (metal). À quel moment dans la composition ou l'enregistrement avez-vous fait ce choix ?
Anneke : Ce fut décidé dès le départ. Arjen avait déjà composé quelques morceaux pour son compte, pour un nouveau projet : deux ou trois chansons pour lesquelles il avait réalisé des démos et écrit quelques idées, mais il ne savait pas quoi en faire, quelle approche avoir. Il a alors demandé à ses fans quelle direction il devrait suivre avec ces nouveaux morceaux. Beaucoup de gens répondirent qu'ils souhaitaient un album heavy et beaucoup d'autres voulaient un album folk. Il a alors décidé de faire les deux, car il pouvait écrire un album metal avec des influences folk et réciproquement. Mais il trouvait intéressante l'idée de composer une même chanson de deux facons différentes. Au même moment, je lui avais envoyé un mail pour lui parler d'un tout autre sujet et je lui ai proposé spontanément de travailler avec lui. Il m'a alors annoncé qu'il écrivait justement des chansons ! Il me les a bien sûr fait écouter et je les ai trouvées fantastiques ! Je lui ai alors proposé qu'on fasse un album duo lui et moi, et il y a greffé son idée de double album. Voilà comment ça s'est fait !
Comment s'est passé l'enregistrement ? Avez-vous tout enregistré en une fois puis réalisé deux versions ensuite, ou bien deux enregistrements distincts ont-ils été nécessaires ?
Les deux versions ont été réalisées en même temps mais les pistes instrumentales étaient tellement différentes que nous avons du tout enregistrer deux fois. Même le chant ! Au début je pensais qu'on aurait pu utiliser une même piste pour les deux versions, comme le refrain par exemple. Mais ça n'allait pas, c'était trop différent, alors on a préféré tout enregistrer deux fois. C'était d'ailleurs une atmosphère radicalement différente donc l'interprétation est importante. Faire une version heavy et une version douce d'une même chanson t'oblige à marquer une différence nette, sinon ça n'aurait pas de sens. Voilà pourquoi nous avons tout enregistré deux fois, chant comme instruments.
Tu viens de nous donner les origines de ce projet, mais pour quelle raison principale as-tu eu envie de travailler dessus avec Arjen ?
On se connait Arjen et moi depuis très longtemps. Au moins vingt ans. Et depuis toujours, nous travaillons régulièrement ensemble, en chantant sur l'album de l'autre. À un moment, je me suis dis que ce serait sympa de faire quelque chose avec Arjen de totalement différent. Je sais que je peux toujours lui demander de chanter sur le prochain Ayreon, mais j'avais envie de faire plus, cette fois-là. Et alors qu'il écrivait ces nouveaux morceaux, il imaginait déjà ma voix dessus. Il ne m'avait pas encore contacté car c'était beaucoup trop tôt mais par une coïncidence heureuse, je l'ai contacté à ce moment là ! Et comme je ne crois pas aux coïncidences, je dirai que c'était le destin ! (rires)
Tu as écris les paroles et Arjen s'est occupé de la musique. Comment travaillez-vous ? Arjen compose en premier la musique puis tu poses les paroles dessus, ou bien travaillez-vous ensemble et en même temps ?
En fait la musique et les lignes vocales étaient déjà écrites pour la plupart ; il manquait juste quelques détails. J'avais donc à ma disposition toutes les mélodies, je n'avais alors plus qu'à écrire les paroles.
Tout l'album est inspiré par le XVIIème siècle hollandais. Des artistes comme Rembrandt et Vermeer ont d'ailleurs été sources d'inspiration pour la composition des chansons. Y a t'il eu d'autres inspirations pour l'écriture des paroles, comme certains livres ou personnages historiques ?
Dans un sens oui, car l'album raconte une histoire et j'ai du faire pas mal de recherche : l'histoire se déroule à une période précise, donc je devais être cohérente. Il faut par exemple éviter de dire « j'étais au téléphone » parce qu'ils n'en avaient pas à l'époque (rires). Donc je devais vérifier chaque détail. J'ai donc lu beaucoup de choses et en particulier des livres sur la navigation. L'histoire raconte les échanges de lettres entre deux personnes au XVIIème siècle et il n'y avait alors pas de poste. Donc les lettres qu'elle lui envoyait alors qu'il voyageait pendant deux ans et demi devaient voyager en bateau. Et il fallait environ six mois pour recevoir une lettre comme ça. C'est sur ce point là que j'ai fait beaucoup de recherches, et je dois avouer que c'était très intéressant. J'ai appris beaucoup de choses sur le système « postal » de l'époque et sur la navigation et le XVIIème siècle en général.
T'es-tu également inspiré de ta propre vie ? Il y a notamment une chanson sur le fait d'être mère (« Eyes Of Michiel ») et l'idée de devoir partir et laisser les gens que l'on aime à la maison pour une longue période, comme ce que tu peux vivre lorsque tu pars en tournée.
Tu es la première à faire cette comparaison, c'est super ! (rires) Et tu as raison, ça ressemble vraiment à ce que l'on peut vivre en tournée. Et bien sûr, à l'époque, être loin de la maison était encore plus dur qu'aujourd'hui, et parfois pendant plusieurs années. Aujourd'hui, quand tu pars en tournée, il y a toujours Skype ou le téléphone. Mais est-ce que tu arrives à imaginer comment ils devaient se sentir quand tout ce que tu pouvais faire, c'était envoyer une lettre et que celle-ci pouvait mettre six mois à arriver ? En six mois, tout pouvait arriver : une tempête qui emporte le navire par exemple. Donc c'est un peu la même sensation oui, mais à l'époque tout était multiplié par dix : la durée, le manque, l'espoir, les rêves... C'est ça qui rend l'ensemble intéressant. Mais c'est vrai qu'en tournée, en particulier depuis que j'ai un enfant, je ressens le mal du pays plus souvent que lorsque j'avais 18 ans. J'en avais vraiment rien à faire à l'époque. (rires) Mais maintenant tout est différent. Quand je suis en tournée, j'aimerais être à la maison, et quand je suis chez moi, j'aimerais être en tournée. C'est toujours un sentiment un peu doux-amer mais j'aime ça.
Tu as aussi dit que le fait que vous soyez tous les deux hollandais vous a motivé à donner une base hollandaise à l'album. Et tu as ainsi choisi de raconter l'histoire d'un marin et de sa femme, ce qui t'a donné l'opportunité de parler de pays exotiques et d'explorer différents styles musicaux comme dans « Shores Of India ». Etait-ce une des raisons pour avoir choisi ce thème en particulier ?
En fait le voyage que cet homme réalise dans cet histoire est un trajet qui existait vraiment au XVIIème siècle. Et ce qui est bien, c'est que même le navire « The Merchant » existait à cette époque, et qu'il est parti du port le même jour que dans notre histoire. Il y a beaucoup de faits réels dans ce qu'on raconte. Ainsi, le navire est vraiment allé en Inde et dans d'autres endroits magnifiques comme le Cap des Tempêtes, au sud du Cap de Bonne Espérance. Rien qu'avec ce voyage, nous avions énormément de sources d'inspiration pour notre histoire.
Vous êtes tous les deux hollandais et vos chansons parlent de deux personnages hollandais, avez-vous pensé à chanter l'album ou au moins quelques morceaux en hollandais ?
En fait c'est une très bonne idée mais nous n'y avons pas pensé ! (rires) C'est une bonne idée parce que c'est cool pour les hollandais et c'est cool aussi pour les autres parce que c'est une langue bizarre pour eux ! C'est pour cette raison que je pense que le chœur dans « Endless Sea » est un joli détail. Ils chantent en hollandais et certaines personnes le remarquent et d'autres non, donc c'est une jolie surprise. Mais je pense que faire une chanson entière en hollandais serait une belle idée, la prochaine fois peut-être !
Je me souviens que tu avais chanté une version hollandaise de « Silent Night » lors de ton dernier concert avec The Sirens à Paris et c'était vraiment bien !
Ah oui ? Merci ! J'aime chanter en hollandais, c'est tellement différent. Cela nécessite une « bouche » différente pour chanter dans cette langue. Et j'aime écrire en hollandais aussi alors, qui sait...
Les chansons sont des échanges entre deux personnages. Lors de l'enregistrement, as-tu essayé de donner une voix différente à chaque personnage ?
Non, j'ai utilisé la même voix mais j'ai essayé, au niveau de l'écriture, de les faire parler différemment parce que ce sont deux personnes distinctes. L'une est un homme, l'autre une femme ; ils ont naturellement une manière différente de dire les choses. J'ai essayé de vraiment créer un personnage pour chacun. Par exemple, la femme utilise de nombreux surnoms affectueux, des mots tendres, pour son mari. Et l'homme est romantique mais sans réserve donc il utilise des mots plus forts. J'ai donc essayé de les différencier dans l'écriture des paroles.
Nous avons récemment vu la vidéo pour « Heart Of Amsterdam ». Ca avait l'air d'être un tournage très amusant ! Dans cette vidéo, on reconnait quelques musiciens qui seront sur scène avec toi mais aussi d'autres gens comme Timo Somers de Delain et Marcela Bovio. Est-ce qu'ils ont travaillé sur l'album et seront-ils sur scène également ?
En grande partie, oui. Par exemple, Timo a joué le solo, comme vous pouvez le voir, et quelques autres parties sur l'album. Mais il ne fera pas parti du groupe en concert. Marcela, elle, sera sur scène, tout comme Johan, le bassiste. Le batteur et Ferry, l'autre guitariste, seront là également. Ce ne sera pas le cas pour Arjen, bien-sûr, parce qu'il n'aime pas les tournées. Et puis, il y a un autre guitariste qui n'a pas pu être dans la vidéo mais qui sera sur scène. Vous voyez qu'il y a eu tellement de personnes qui ont travaillé sur l'album, comme le joueur de flûte ou le violoniste, mais tous ne sont pas sur scène.
Donc il n'y aura pas de musicien « classique » sur scène, seulement le groupe « rock » ?
Exactement, parce que le concert sera basé sur la version « Storm » de l'album donc il sera très « heavy ». J'ai d'ailleurs recruté ces fantastiques musiciens de métal pour ce projet parce que j'avais besoin de joueurs très « heavy ». Et j'ai bien fait puisque c'est un groupe vraiment bon maintenant !
Puisque c'est un concept-album, est-ce que tu prévois de chanter l'album entier sur scène pour raconter toute l'histoire ? Ou est-ce que tu feras une sélection de chansons ?
Nous jouerons l'album en grande partie. Nous allons faire un concert de présentation de l'album à Amsterdam où nous le jouerons en intégralité mais aussi beaucoup d'autres chansons d'Ayreon, Devin Townsend et The Gathering. Puis nous jouerons dans des petites salles où nous ferons une sélection parce que, sinon, le concert serait trop long. Mais 90% des chansons viendront de The Gentle Storm. Le premier concert est toujours un bon test pour savoir quelles chansons fonctionnent en live ; parfois, il y a des chansons qui sont fantastiques en studio mais pas si bonnes en live, donc on verra.
Il a été évoqué sur la page Facebook de The Gentle Storm que vous aviez tourné une vidéo pour « Shores Of India ». Peux-tu m'en dire plus ?
En fait, ça va être énorme, je dois dire. Elle va sortir au même moment que l'album donc dans peu de temps. Elle sera assez différente de la vidéo d'Amsterdam où on voit le groupe en répétition qui s'amuse bien ;c'est une chanson joyeuse, sur la belle vie qu'offre Amsterdam. C'est donc une facette de The Gentle Storm et de l'histoire de nos personnages. Mais « Shores Of India » est un peu plus sérieuse, grandiloquente et romantique donc la vidéo sera un mélange de tout cela. Elle contient de belles couleurs et de beaux décors mais aussi des acteurs donc l'atmosphère est très différente. Ce que j'aime beaucoup c'est que nous avons maintenant trois vidéos qui sont si différentes les unes des autres, c'est intéressant.
Le XVIIème siècle aux Pays-Bas est une période très intéressante et il y a tant à en dire. Avant de choisir de raconter l'histoire d'un marin et son épouse, aviez-vous d'autres idées pour cet album ?
Pas vraiment parce que lorsque nous avons commencé à parler de ce que nous devrions faire autour de ce concept – nous voulions en faire un concept-album – je savais que je voulais en faire une histoire. Donc nous y avons réfléchi et Arjen avait cette idée spécifique de faire quelque chose en rapport avec les Pays-Bas puisque nous sommes hollandais tous les deux. Et la période glorieuse aux Pays-Bas est une période si riche, où il s'est passé tant de choses... donc on s'est dit « faisons simplement quelque chose comme ça ». J'ai dit « d'accord mais je veux une histoire d'amour » (rires) alors qu'Arjen ne parle bien-sûr que d'étoiles, de l'univers, d'extraterrestres et de trucs comme ça ! (rires). Alors il a dit « d'accord mais il faut que ce soit spectaculaire ! ». Nous sommes donc rapidement arrivés à cette idée, ce développement.
Penses-tu que The Gentle Storm fera d'autres albums sur ce genre de thématique ou est-ce que ce n'est qu'un projet unique ?
Je pense que puisque nous avons un nom de groupe et que nous prenons les choses très très au sérieux, nous pouvons faire un autre album. Ce qui est bien c'est que les gens savent ce que nous faisons dans nos carrières personnelles. Et puis Arjen écrit toujours de nouvelles choses alors nous sortirons peut-être un autre album solo ou autre chose entre temps. Mais si les gens aiment l'album, s'il a un certain succès et qu'on peut jouer avec le groupe en concert, alors pourquoi pas ? Arjen et moi avons déjà parlé d'une suite alors qui sait... ? J'aimerais beaucoup en tout cas parce que je suis très fier de celui-ci.
Tu as travaillé sur de nombreux projets différents récemment : The Sirens, The Gentle Storm, Devin Townsend Project. Est-ce qu'il y en a d'autres que l'on ne connait pas encore ?
Pas pour le moment. Comme tu l'as dit, 2014 a été une année très occupée. J'ai aimé chacun des projets que j'ai faits. Mais c'est un fait : il faut se concentrer et donner le meilleur de soi-même dans tout ce qu'on fait. À la fin de l'année, j'ai dit à mon mari que j'étais très fatiguée de réfléchir à dix choses à la fois. The Gentle Storm était en train d'être bouclé, on prévoyait une grosse sortie et c'était un double album. J'ai donc ressenti le besoin de ne me pencher que sur une chose et c'est ce que j'ai fait : j'ai décidé que j'allais dorénavant me concentrer sur The Gentle Storm et faire les concerts parce que je veux faire ça bien. Je ne veux pas faire les choses à moitié. Mais j'ai toujours des idées sur ce que je veux faire après. Je suis toujours en train de travailler et d'écrire pour quelque chose. Ce que j'écris pourra me servir en 2016 mais le principal objectif pour toute l'année 2015, c'est The Gentle Storm.
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