Guillaume : Il y a quelques semaines, vous avez parlé sur Facebook d'une session d'écriture. Est-ce que cela veut dire que vous avez déjà commencé à travailler sur le nouvel album ? Que peux-tu nous en dire ?
Charlotte : Oui, nous avons commencé à travailler. La raison principale, c'est que nous ne voulons pas faire attendre les gens trop longtemps pour le prochain album. Mais nous sommes très souvent en tournée. Normalement, on attendrait que la tournée soit finie pour commencer à écrire mais honnêtement, on n'a plus le temps pour ça maintenant. Donc il faut vraiment qu'on remplisse tous les creux entre deux tournées avec des cessions d'écriture. On a commencé, on a beaucoup d'idées mais pour l'instant il y a peu de chansons terminées donc on peut dire qu'on est dans les starting-blocks pour le nouvel album. On a beaucoup d'inspiration, de nombreuses idées mais il faut maintenant les transformer en chansons.
Guillaume : Sur « The Human Contradiction », il y avait des thèmes très forts sur la société, la politique ou l'écologie. Allez-vous continuer dans cette direction pour le nouvel album ?
Honnêtement, je ne choisis pas vraiment de direction pour chaque album, j'écris juste sur ce qui m'occupe l'esprit sur le moment. Je suppose que je commencerai à écrire les textes pendant la deuxième moitié de 2015. Donc c'est ce qui m'occupera l'esprit à ce moment là qui se retrouvera très probablement dans les paroles. Le truc, c'est que j'ai commencé à écrire pour Delain quand j'avais 17 ans et les choses qui me préoccupaient à l'époque étaient beaucoup plus personnelles. Vous savez, plus on grandit, plus notre monde grandit avec nous. On commence à se préoccuper de politique, du monde social et écologique qui nous entoure. Et avec l'âge, la gamme de sujets pour des paroles de chanson s'est un peu élargie. Donc il y a de grandes chances que ce type de sujets soit abordé sur le prochain album. À moins bien sûr que je vive « des montagnes russes émotionnelles » à ce moment là et dans ce cas, il s'agira sûrement des événements de cet instant. Mais j'espère que ce sera plus à propos du monde qui m'entoure parce que cela voudra dire que tout va bien pour moi ! (rires)
Sabrina : Peu après la sortie de l'album, tu as passé ton master dans le domaine de l'étude des genres. Ta thèse s'appelait « manger l'autre » et cela parlait de la relation entre les humains et les animaux non-humains et de la façon dont c'était traité dans l'art contemporain. C'est un thème très intéressant que l'on retrouve aussi sur « Tell Me, Mechanist ». Mais puisque tu l'as choisi pour ta thèse, c'est sûrement un sujet important pour toi. Prévois-tu d'en reparler sur un prochain album ?
Ecoutez la réponse de Charlotte
Oui et non. Oui parce que je pense que c'est très important d'être en empathie avec le monde qui nous entoure. Et je pense que les animaux en général sont la frontière entre humains et animaux. Mais la différence entre humains et animaux est bien plus petite que ce que pensent la majorité des gens. Toutes les capacités que nous avons, que ce soit l'usage des outils, le langage, la gestion des émotions ou l'organisation sociale, sont aussi très présentes dans le monde animal. Et certaines des plus importantes comme la douleur et la souffrance sont définitivement présentes. C'est un sujet important à considérer : la douleur que nous infligeons à tous les êtres sensibles y compris les animaux. La raison pour laquelle je ne suis pas sûre d'en parler dans le prochain album, c'est que je vise un régime complètement vegan depuis un moment mais il m'arrive encore de tricher de temps en temps. Il est difficile de se débarrasser de certaines choses même s'il y a de très bonnes alternatives. Je triche encore avec le fromage et je pense que j'ai besoin d'être complètement clean à ce sujet avant de me permettre d'en parler beaucoup plus. Sinon ce serait comme prêcher quelque chose sans l'appliquer à moi-même. Mais une chose que je dois dire c'est qu'avant de me lancer dans le régime vegan, tout le monde me disait : « c'est trop dur, tu ne vas pas réussir à tenir ». En fait, à 98%, c'est très facile. Aussi, si tout le monde faisait ces 98%, le monde serait déjà tellement différent. Donc c'est pour ça que j'hésite encore à en parler parce que je ne suis moi même pas parfaite à ce sujet. Mais je pense que beaucoup ne se posent même pas la question... ou alors il se la posent et c'est exactement ce dont parle « Tell Me, Mechanist ». Il y a plusieurs centaines d'années, il existait une philosophie qui disait que seuls les humains pouvaient ressentir la douleur car ils étaient les seuls à avoir une âme donnée par Dieu. C'est une philosophie très inspirée de la religion. Ils disaient que nous étions tous des machines, que nous marchions tous de la même façon, que nous avions certaines sources liées à la douleur ou liées à ceci ou cela. Mais les humains seraient les seuls à ressentir la douleur car ce seraient les seuls à avoir une âme. Cela signifierait qu'on peut découper et ouvrir les animaux autant que l'on veut parce qu'ils n'ont pas d'âme et ne ressentent donc rien. et si on écoute les raisons des gens qui consomment certains aliments aujourd'hui, ils disent : « je peux manger du poisson, les poissons ne ressentent pas la douleur ». En est-on désormais à revenir plusieurs siècles en arrière ? Du coup, ce qui est peut-être pire que de ne pas y penser, c'est d'y penser et de prendre les décisions sur de mauvaises informations. Et c'est vraiment ce dont parle « Tell Me, Mechanist ». La philosophie dont je parle est appelée le mécanisme, c'est une philosophie très cartésienne et Descartes en était d'ailleurs un des ambassadeurs. À un moment, Voltaire, votre philosophe, s'est adressé directement à cette philosophie. C'était au moment où ils essayaient d'en apprendre le plus possible sur la biologie humaine. Ils découpaient et ouvraient des animaux pour voir comment leurs vaisseaux fonctionnaient parce qu'ils savaient que l'on fonctionnait pareil. En fait, toute la chanson est inspirée de cette phrase de Voltaire dans une lettre qu'il leur a écrit : « Vous ouvrez ce chien et trouvez en lui les mêmes sources de sensation que vous trouvez en vous. Dites moi, mécanistes, est-ce que la nature les a vraiment implantées là pour qu'ils ne sentent rien ? » Et j'ai trouvé que c'était vraiment une très bonne réponse à leur théorie parce que, en effet, pourquoi les auraient-ils si c'était pour ne rien sentir ? Quand j'ai lu cette phrase, je savais que je devais la mettre dans ma thèse. En fait, il ne disait pas « Dites-moi, mécanistes » mais « Répondez-moi, mécanistes ». En fait, « Dites-moi, mécanistes » sonnait mieux dans les paroles. Je me permets mine de rien de changer les mots de Voltaire ! (rires)
Sabrina : Maintenant que tu as obtenu ton master, as-tu prévu de t'en servir ? Est-ce que ce serait compatible avec l'agenda plutôt rempli de Delain d'avoir des projets dans ce domaine ?
En fait, en utilisant le contenu de ma thèse pour une chanson, je considère que j'ai travaillé dans ce domaine. Parce que, particulièrement dans le domaine de l'étude des genres, la plupart des gens se retrouvent à réaliser des documentaires ou à travailler dans le domaine artistique. De nombreuses personnes utilisent ces études pour faire toutes sortes d'activités de manière plus informée. Donc j'ai vraiment l'impression de travailler dans ce domaine. En ce qui concerne l'histoire de l'art dont j'ai aussi un diplôme, c'est plus difficile. Je ne peux me permettre de travailler dans un musée, puis dire : « je serai votre conservateur mais je ne serai pas là pendant 6 mois de l'année ! ». Ce n'est juste pas possible. En tout cas, en ce qui concerne ce diplôme d'étude des genres, c'est quelque chose qui vous suit partout quand vous lisez, quand vous écrivez ou quand vous parlez. C'est implanté en vous et ce n'est pas possible de vous en débarrasser !
Guillaume : Depuis la sortie de « The Human Contradiction », vous avez tourné avec de nombreux groupes et artistes différents. Comme c'est l'une des marques de fabrique de Delain d'avoir des artistes invités sur vos albums, peux-tu déjà imaginer qui en serait pour votre prochain album ?
Oui, en fait, de nombreuses collaborations sont devenues possibles parce que nous avions tournés avec ces gens ou parce que nous les avions rencontrés lors d'un festival. Donc c'est quelque chose qui arrive souvent. C'est juste que nous ne parlons jamais de nos guests avant d'avoir enregistré avec eux parce que nous aimons garder la surprise. C'est pourquoi on ne peut pas en dire beaucoup au sujet du prochain album ! (rires) Le fait est qu'on travaille dans un milieu où il y a tellement de musiciens talentueux... On pourrait continuer comme ça, sur cette scène, pendant vingt ans et il y aurait toujours des gens avec qui on voudrait travailler, mais avec qui on ne l'aurait pas encore fait.
Guillaume : Donc vous savez déjà qu'il y aura des guests sur le prochain album ?
En fait on a toujours pour objectif d'avoir des guests. Si nous n'en avons pas, c'est pour une raison bien précise, on l'aura décidé. Mais notre mode par défaut, c'est de vouloir des invités sur nos albums. Parce qu'on a juste envie de voir ce que ça donne quand on invite quelqu'un à travailler avec nous, ce qu'il va faire de notre musique. Par exemple, sur April Rain, on avait Marco et un violoniste, et c'est le minimum de guests qu'on ait eu, ce qui était pourtant déjà pas mal !
Guillaume : Sur les récents concerts en première partie, vous n'avez joué en général que deux morceaux du dernier album. Pourquoi ce choix ?
Sur les tournées en première partie, on prend des décisions très différentes quant aux setlists comparativement aux tournée en tête d'affiche. Sur des concerts en tête d'affiche, on sait que la plupart des gens viennent pour nous, ils nous ont déjà vu, ils connaissent nos albums, ils ont sûrement acheté le dernier album et veulent en entendre des morceaux. Sur des tournées comme celle-ci, il y a un gros contraste entre Battle Beast, Sabaton et Delain. Et il y a des chances que beaucoup de gens n'aient que très peu entendu parler de nous auparavant. Et c'est pour cette raison qu'on fait des tournées de première partie, pour nous faire découvrir à de nouvelles personnes. Ce qu'on fait est donc une combinaison de chansons que nous pensons les plus efficaces en live plutôt que de proposer les titres les plus récents. On veut leur montrer une bonne sélection de chansons issues de tous nos albums parce qu'on veut qu'ils découvrent Delain dans les meilleures conditions.
Sabrina : On se doute que si c'était le cas, vous l'auriez déjà annoncé mais on se doit de vous le demander, parce que ce serait une affiche parfaite pour nous ! Donc y a t-il une chance pour que suiviez Nightwish en Europe après avoir fait leur première partie aux Etats-Unis ?
Nous n'en avons pas entendu parler pour le moment. Mais peut-être que si on passe un bon moment avec eux aux Etats-Unis, ils auront envie de nous ramener en Europe ? En tout cas, pour l'instant ce ne sera que les Etats-Unis. Mais ça nous plairait bien sûr.
Guillaume : Ils devraient être en France autour du mois de Novembre, seriez-vous disponibles à cette période ?
Je pense qu'on sera très occupé par l'enregistrement de notre album mais qui sait, on est encore en train de planifier.
Guillaume : Pour cette tournée, il apparaît que vous commencez à faire de plus gros concerts, dans des salles plus grandes. Avez-vous pensé à enregistrer un DVD live ou peut-être juste un clip live pour l'une de vos nouvelles chansons ?
Non, on a déjà fait pas mal de vidéos live et en général, la réaction des gens, c'est : « donnez-nous un vrai clip ». Vous faites l'effort d'enregistrer de belles images live, vous les montez et vous vous retrouvez avec un super résultat. Et les gens disent « donnez-nous un vrai clip ». Ce n'est pas vraiment motivant ! En revanche, un DVD live est quelque chose que nous n'avons jamais fait auparavant. En fait, sur Interlude, on a quelques videos live mais pas de concert entier. C'est quelque chose qui demande beaucoup de préparation et qui coûte beaucoup d'argent. Et je préfère toujours enregistrer et sortir de nouvelles chansons plutôt que de jouer et enregistrer des morceaux existants. Mais je sais que les gens aiment beaucoup ça, donc je pense qu'un jour dans le futur, il faudra qu'on songe à mettre en place quelque chose de spécial, et l'enregistrer parce qu'il y a vraiment une demande pour ça. Je sais aussi que de nombreux fans n'ont pas la possibilité de voyager pour venir nous voir et je voudrais qu'ils puissent, eux aussi, voir de beaux concerts. Donc qui sait ?
Sabrina : Vous avez récemment chanté sur « The Power Of Love » pour Serious Request. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce concept et en particulier l'association à laquelle va l'argent ?
Serious Request est une initiative caritative de l'une des plus grosses radios néerlandaises. Ils font ça chaque année, avant Noël. Les DJs vont dans une cage de verre, ils y restent toute la semaine sans manger et ils récoltent de l'argent pour une bonne cause. Chaque année, la cause est différente. Les gens appellent pour réclamer des titres, puis ils disent combien d'argent ils vont donner pour écouter telle ou telle chanson. Par exemple, ils disent : « Je vais donner 20 euros pour écouter telle chanson ». Et ils récoltent comme ça une importante somme, vraiment des millions et des millions d'euros tous les ans pour une bonne cause. Cette année, le sujet était : « ne touchez pas à nos filles ». Tout l'argent allait pour l'aide médicale et psychologique des victimes d'abus sexuels dans les zones de guerre et de conflits. Avec le titre « The Power Of Love », on a enregistré une nouvelle chanson que les gens pouvaient réclamer en donnant de l'argent pour cette association. Les gens pouvaient aussi la télécharger en donnant autant d'argent qu'ils le souhaitaient à Serious Request. Je crois qu'on a fait près de 10000 euros et c'est génial !
Guillaume : Pour finir peux-tu nous parler du dernier livre que tu as lu, du dernier film que tu as vu et du dernier album que tu as écouté ?
Le dernier livre que j'ai fini, c'est American Psycho. Le film était plutôt drôle, en fait, mais le livre est vraiment horrible. C'est très très bien écrit mais vraiment horrible, je crois même qu'il a été interdit dans certains pays. Je ne l'ai su qu'après l'avoir fini. Certains moments sont vraiment drôles mais la plus grosse partie est vraiment très violente. Juste après avoir lu le livre, j'ai su qu'il y avait un film et je me suis dit : « Je ne peux pas imaginer qu'on puisse faire un film à partir de ce livre ». Je l'ai donc vu tout de suite et je trouve finalement qu'ils ont fait un bon travail. Il y a beaucoup de choses dans le livre qui ne peuvent pas être mises en film mais je pense que l'atmosphère globale du livre est bien retranscrite dans le film. Sinon, le dernier film du marathon ciné qu'on a fait avec une amie, hier soir, était « Red State ». Ça parle de fanatiques religieux qui tuent des gens dans des églises, avec John Goodman qui résout l'affaire en tant qu'agent du FBI. C'est un film très étrange avec une fin très peu satisfaisante. Mais le film précédent qu'on avait regardé était vraiment bien : je crois que c'était un film français dont je ne me souviens plus le nom. C'était à propos d'une fille et de cette psychiatre qui vient l'aider parce qu'elle faisait du babysitting et qu'elle a presque étranglé le bébé qu'elle gardait. C'était un très bon film français avec l'une de nos actrices néerlandaises les plus connues héhé ! (Carice Van Houten qui joue Melisandre dans Game Of Thrones) Il faut que je regarde sur Google pour trouver le nom parce que c'était vraiment un bon film ! C'était à la fois arty, psychologique, thriller et horreur. « Red State » était bizarre mais celui là était vraiment bien ! (Après quelques recherches sur Google, Netflix et IMDb, Charlotte a trouvé le nom du film qui était « Dorothy Mills ») Et enfin, le dernier album que j'ai écouté est « Kid A » de Radiohead.
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