Nicolas : Comment se déroule la tournée jusque là ?
Floor : Très bien en fait ! Dans notre groupe, ça se passe très bien. Nous sommes une très grosse équipe, mais le noyau est surtout composé des membres du groupe, des techniciens et des roadies, et donc on est une grande famille heureuse ces temps-ci. C'est génial de voir une si grosse production prendre forme et que chacun y trouve sa place. Puis ça donne des spectacles à couper le souffle. Nous avons atteint l'étape du dessus ! Nous avons joué de gros concerts durant les festivals. On a joué à Joensuu et Tampere pour nos concerts finlandais. Mais faire ça tous les jours, c'est « waouh ! ». Ça se passe vraiment très très bien. Et bien sûr, ce qui s'est passé ici (à Paris) a fait peser un gros poids sur nos épaules : « Doit-on continuer ou pas ? Et si on le fait, comment ? ». On a du passer par pas mal de contrôles de sécurité, ce qui est bien sûr la conséquence directe de ce qui s'est passé. Et ça nous rappelle chaque jour que c'est quelque chose à quoi nous devons faire face psychologiquement, parce qu'on ne veut pas être effrayé, on ne veut pas être intimidé. Mais il y a toujours ce petit démon sur notre épaule qui dit : « Oui, mais si...? ». Il semble que ce niveau de sécurité est apparemment nécessaire mais on ne va, en aucune façon, laisser tout cela avoir une influence sur nos concerts. En particulier ce soir, nous ne serons pas intimidés, on ne sera pas arrêtés par cette violence totalement inutile et incompréhensible.
Nicolas : Comment vous occupez-vous sur la route ?
(elle montre des altères laissées au sol) Et bien, on fait de l'exercice. (rires) J'apprends le suédois parce que je viens juste d'y emménager. On joue au « poker d'as » (en anglais « poker dice »), c'est du poker mais avec des dés, littéralement. Nos journées ont aussi tendance à se décaler. On ne se lève pas avant dix heures du matin... ni six, sept ou huit. Enfin si, peut-être 10 heures (rires). On mange un peu, on attend un peu, on lit un peu.
Elise : Tu as parlé des récents événements. Tout d'abord, on voulait te remercier pour les mots que tu as eus sur scène à Lyon, lundi dernier. À part pour les vérifications de sécurité, avez-reçu des recommandations particulières en tant que groupe ?
Non, pas vraiment. D'un point de vue pratique, on ne s'en rend pas vraiment compte. Par contre, en journée, ils inspectent l'ensemble de la salle avec des chiens renifleurs d'explosifs. Tu es là, en tenue de sport, et il faut que tu t'arrêtes parce qu'il y a un mec qui vient avec un chien pour tout renifler. Ils ne vérifient pas nos bagages, mais je pense qu'ils l'ont peut-être déjà fait à l'étage quand je n'y étais pas. En tout cas, ils l'ont fait à Amsterdam. On ne se sent pas très à l'aise.
Guillaume : Tu faisais la première partie de Nightwish avec After Forever à l'Elysée Montmartre à Paris en 2002. Désormais, tu es la chanteuse de Nightwish et tu vas jouer ce soir à Bercy Arena. Qu'est-ce que ça fait ?
Je suppose que j'ai fait du chemin. (rires) Avec des hauts et des bas, mais je suis très fière. À tous les niveaux, je suis très heureuse et chanceuse d'être dans cette équipe. On passe vraiment de très bons moments ensemble, on est un super groupe, on s'amuse beaucoup. Je me sens à la maison avec ces gars. Et bien sûr, on a besoin de ça pour faire de la musique et passer autant de temps ensemble. Vous m'avez demandé ce qu'on faisait pour occuper le temps sur la route. Et bien, on est tous dans cette aventure, on se voit tous les jours et pour nous amuser ensemble, il faut avant tout qu'on s'entende bien. Et puis, quand tu es dans le groupe depuis trois ans, tu finis par t'y habituer, dans un sens. Je n'y pense pas tous les jours du genre « Oh mon dieu, je suis la chanteuse de Nightwish ! » (rires) Mais il y a des moments comme ça où, pendant une grosse tournée comme celle-ci, on se dit : « Putain, c'est un truc incroyable ! ». Je me sens vraiment chanceuse.
Guillaume : Dans sa brochure, Contra met en avant le concert de Nightwish à Bercy en 2012 comme étant la plus grande salle européenne dans laquelle Nightwish a joué, avec un public de 12000 personnes. Le savais-tu ?
Non mais malheureusement, je pense que ce n'est pas le cas sur cette tournée. Notre communiqué de presse disait qu'il y aurait 9500 personnes ici à Paris. Il y en avait 11000 à Oberhausen et il y en aura 12000 à Londres. Mais ça n'a pas d'importance, c'est énorme de toute façon. (rires)
Elise : Tu as dit précédemment que ces concerts sont de très grosses productions avec écrans, pyro etc... Justement, est-ce que la fumée et les flammes ne sont pas dangereuses pour ta voix ?
En fait, non. On a fait deux concerts dans des salles plus petites d'une capacité d'environ 3000 à 3500 personnes en Suède et à Copenhague au Danemark. Ces endroits sont plus petits donc la fumée s'échappe moins facilement et c'était plus difficile. Mais je ne pense pas qu'il serait sain pour moi de faire ce type de salle sur toute une tournée. Par contre, dans un endroit comme Bercy, la fumée s'évacue assez vite. Par moment, je respire la fumée, mais pas tant que ça. J'ai la chance d'avoir des cordes vocales très saines, elles ne s’abîment pas facilement. (rires)
Elise : Y a-t-il une chanson que vous ne jouez pas sur scène pour l'instant mais que tu voudrais chanter un jour ?
Ça varie déjà pas mal en fait, parce qu'il y a plusieurs chansons que nous faisons tourner. On a une setlist différente aujourd'hui par rapport à celle de Lyon. Il reste toujours des chansons que nous n'avons jamais faites, en tout cas avec moi. La plupart des mes chansons préférées sont déjà dessus, il n'y en a aucune autre qui me passe par la tête.
Nicolas : Et au contraire, est-ce qu'il y a une chanson de Nightwish que tu n'aimes pas beaucoup et que tu voudrais faire en sorte de ne plus chanter sur scène ?
(rires) En fait, non. La seule chanson que je n'ai jamais beaucoup aimé est « Over The Hills And Far Away », mais de toute façon c'est une reprise de Gary Moore. Ce n'était pas mon truc. (rires)
Nicolas : Quelle est la chanson la plus dure à interpréter dans la setlist actuelle ?
Je pense à la première partie de « The Greatest Show On Earth » lorsque je fais de l'opéra qui est difficile à faire correctement. Je ne parle pas du risque de chanter faux, mais plutôt de réussir à dégager la bonne émotion : il faut une voix ni trop forte ni trop douce. L'opéra devient parfois incompréhensible. L'allemand et le français sont des langues plus adaptées à ce type de chant, que l'anglais qui contient beaucoup de voyelles et de « r » qui se font avec le fond de la bouche, alors que l'opéra se chante plutôt avec l'avant de la bouche, car ce type de chant a besoin d'espace. Au final, trouver le bon ton pour la chanter comme il faut est vraiment difficile.
Nicolas : Le chant que tu as rajouté à la fin de « Ghost Love Score » est l'un des plus beaux moments du concert. Comment t'es venue cette idée et comment l'as-tu présentée au groupe ? Quelle a été leur réaction ?
C'est venu progressivement en fait. Ça ne s'est pas fait du jour au lendemain. Dès que j'ai senti que je pouvais être libre d'interpréter les morceaux comme je le voulais, peut-être durant un soundcheck, je l'ai fait, avant de le faire en concert. Lorsque je chantais ce morceau avant d'être dans Nightwish, je n'ai jamais chanté la fin de la version album. J'ai toujours trouvé qu'il manquait quelque chose (rires), c'est peut-être arrogant, mais c'est vraiment toujours comme ça que je l'ai ressenti. Du coup, lorsque je l'ai chanté comme ça devant le groupe, ils ont adoré et m'ont offert la liberté de faire de même pendant les concerts. Je n'aurai jamais pensé que cette fin recevrait un tel accueil des fans mais c'est toujours bon à prendre ! (rires)
Sabrina : Nightwish avait autrefois pris l'habitude en tournée de jouer une reprise d'un autre artiste. Y en a-t-il une que tu voudrais faire ?
Non, il n'y en a aucune qui me vient en tête. J'aurais souhaité rejouer « High Hopes » de Pink Floyd. La version de Nightwish est vraiment superbe. Elle m'avait complètement bouleversé. Mais aujourd'hui, avec un compositeur comme Tuomas, et avec notre façon de composer des morceaux tous ensemble, je préférerais travailler sur de nouvelles chansons plutôt que sur des reprises.
Sabrina : As-tu des anecdotes de tournée à nous raconter ?
Ecoutez la réponse de Floor
Et bien... Je ne sais plus comment ça a commencé mais à chaque fois que je trouve des glaçons, j'en attrape et j'essaie de les mettre dans le t-shirt de Troy. (rires) Juste Troy ! Au début, c'était beaucoup plus facile parce qu'il ne me voyait pas venir, mais maintenant il se méfie et c'est devenu plus compliqué car il s'enfuit ou met sa main devant pour m'empêcher de lui glisser le glaçon. Et ça l'énerve beaucoup. Il m'a dit qu'il se vengerait, mais ça fait plus d'un an que je fais ça et pour le moment il n'a rien pu y faire. Peut-être qu'un jour, il me transformera en grenouille comme c'est un grand magicien ! (rires)
Sabrina : Quels sont tes projets après la tournée ? Prévois-tu de travailler sur un nouvel album de Revamp ?
Je ne sais pas. Je ne sais toujours pas. Ces dernières années, j'ai fait album après album, tournée après tournée. Or, j'ai déjà fait un burn-out une fois et je n'ai pas du tout l'intention d'en refaire un. Tout ce que je peux imaginer, c'est qu'une fois cette tournée terminée, je ne voudrai pas me lancer immédiatement dans un nouvel album. Mais comme la pause sera très longue, il faudra que je vois avec les autres. Il y a tellement de choses à faire dans la vie... Je souhaite vraiment prendre le temps de faire ce que je veux, en fonction du temps que j'ai. Donc je ne sais pas encore...
Sabrina : Depuis que tu as commencé ta carrière musicale, tu as toujours été dans un groupe, et même deux maintenant, et tu n'as jamais sorti d'album solo. Est-ce une chose à laquelle tu as déjà pensé ou préfères-tu rester dans un groupe, avec d'autres gens ?
C'est vrai. Revamp a été créé parce que je n'avais plus de groupe. J'ai écrit un album de rock avec un guitariste norvégien et cela devait être une sorte d'album solo. Il est prêt : nous avions terminé l'écriture et avions commencé à l'enregistrer lorsque After Forever a décidé de s'arrêter. Du coup, je ne l'ai pas sorti parce que je ne voulais pas précipiter les choses. J'avais peur que les gens pensent que c'était déjà un nouveau groupe ou ma nouvelle carrière, alors qu'il ne devait s'agir que d'un projet unique. Après cette tournée, peut-être qu'il serait sympa de le sortir, si je ne trouve pas assez d'énergie pour Revamp. Je ne sais faire les choses qu'à 100% et c'est pour cette raison que je ne veux pas faire plusieurs choses à la fois. Je ne pense pas que ce soit possible d'être investi à fond sur plusieurs projets simultanément, et je ne veux décevoir personne en essayant de le faire. Ce ne serait pas juste. Je sais qu'il me faudra prendre une décision prochainement, et je la prendrai. Mais à l'heure actuelle... Il y a tellement de choses à faire, et tellement de choses que j'aimerais faire... L'album solo est quasi-prêt depuis des années. Il lui faut encore un peu de temps.
Sabrina : Ce ne sera donc pas un album de métal ?
Non, ce sera un album de rock. J'aimerais aussi faire un album résolument non heavy, mais j'ai 34 ans, il me reste encore quelques années avant de m'assagir. (rires)
Nicolas : Tu n'utilises pratiquement pas ta voix d'opéra sur le nouvel album. Aimerais-tu l'utiliser davantage dans le futur, ou n'en ressens-tu pas le besoin ?
Je n'en ressens pas le besoin, non. J'aime quand elle est présente, mais j'aime aussi beaucoup la diversité. Ça fait un moment que mon côté opéra est passé au second plan dans ma propre carrière musicale, et après le départ de Tarja, il n'y en avait plus besoin d'autant. Depuis que je suis dans Nightwish, il y en a un peu plus besoin qu'avec Anette, donc on l'utilise quand cela va bien musicalement avec le reste. Mais ce n'est plus si souvent. Pourtant je continue de l'aimer lorsqu'il est là. Mais à titre personnel, je n'en ai pas plus besoin que ça.
Nicolas : Et pour les grunts ?
(rires) Oh yeah ! Encore quelque chose que je ne ferais pas trop souvent mais que j'apprécie. Bien sûr cela n'a jamais été utilisé dans Nightwish, avant. J'ai aimé et j'aime toujours la surprise que cela procure. (rires)
Guillaume : Nous avons regardé plusieurs de tes interviews diffusées sur la TV finlandaise. Tu y décrivais ta nouvelle vie en Finlande, son climat glacial, l'apprentissage de la langue... Selon toi, quelle est la chose la plus difficile à vivre lorsqu'on habite en Finlande ?
C'est l'obscurité durant l'hiver. Tu peux apprendre à comprendre les gens, tu peux porter des vêtements épais s'il fait froid, mais je trouve que l'obscurité est vraiment difficile à supporter. Là-bas, tout le monde y réagit : tu ne vois personne, les rues sont désertes. La lumière revient seulement entre 10 et 11 heures du matin, puis il fait de nouveau noir entre 3 et 4 heures de l'après-midi. C'est vraiment dur. Mais depuis, j'ai rencontré un homme qui n'est pas finlandais mais suédois. Donc il m'est devenu très difficile d'apprendre le finnois car je ne le parle jamais chez moi. Et puisque ni lui ni moi ne venons de Finlande, nous avons décidé de déménager en Suède. Et désormais j'apprends le suédois, c'est super ! (rires)
Guillaume : Pour finir, depuis que tu es devenue la chanteuse de Nightwish, as-tu eu des bonnes ou mauvaises surprises ?
Non, pas vraiment, rien de tellement inattendu. Quand je vivais en Finlande, être la chanteuse de Nightwish faisait que j'étais perpétuellement entourée de gens qui savaient qui j'étais. Aux Pays-Bas, les gens n'ont jamais vraiment su ou n'y ont jamais fait attention. En Finlande, quand j'y avais emménagé, ça allait. Mais ensuite, l'album est sorti et tout le monde me reconnaissait. Pour tout dire, c'est quelque chose qui ne me manque pas depuis que je vis en Suède. Je n'ai plus à être la chanteuse de Nightwish 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, quand je ne suis pas en tournée, ou même lorsque je veux juste aller au supermarché en survêtement (rires). Et puis sinon, il y a les gens haineux, en général. Ils ne représentent pas une grosse surprise et sont certainement la partie réellement négative de tout ça. Je ne peux pas plaire à tout le monde et je n'en ai pas la prétention. Mais ces gens existent, forcément. Au-delà de ça, tout le reste est vraiment positif.
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