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« Tyson, Sagan, Dawkins et Hitchens sont mes héros. Je pense que le Monde a besoin de gens comme eux, ils sont la solution pour un monde meilleur. »

Interview de Tuomas Holopainen (NIGHTWISH)

En ce dernier jour de tournée française et après un laborieux parcours en train jusqu'à Toulouse, nous achevons cette triade d'interviews avec Tuomas Holopainen, l'incontournable maestro de Nightwish. Après nous être enquis de sa santé (la veille, il disait avoir attrapé un vilain rhume mais, selon ses dires, une nuit réparatrice de 9 heures dans le tourbus semble l'avoir remis d'aplomb), l'interview peut commencer.

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Propos recueillis à Toulouse par Sabrina, Guillaume et Elise le 26 novembre 2015, retranscrits par Sabrina et traduits par Guillaume.

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Sabrina : Comment se déroule la tournée jusque là ?

Tuomas : Juste formidablement bien ! Ce n'est qu'hier matin que j'ai regardé les concerts d'Amsterdam pour la première fois sur Youtube. Je n'avais jamais réalisé à quoi cela pouvait ressembler depuis le public. Vous n'avez pas la même sensation lorsque vous êtes sur la scène... Et j'étais vraiment impressionné par l'aspect visuel, les écrans, les effets pyrotechniques et les lumières ! C'est pourquoi je dis un grand merci aux techniciens. Car vous profitez de la production dans sa totalité, c'est vraiment original et c'est ce que j'aime par dessus tout avec les concerts.

Tuomas Holopainen sur la scène de Bercy Arena, à Paris, le 25 novembre 2015

Guillaume : Avez-vous eu l'autorisation d'utiliser tous vos effets pyrotechniques hier ?

Non, car après la toute première grosse explosion, la police s'est entretenue avec nos techniciens de la pyrotechnique et leur a dit qu'il n'était plus possible d'utiliser quoi que ce soit. Et c'est pourquoi il n'y avait plus d'effet durant le premier morceau et le début du second. Mais finalement, ils ont eu une discussion très rapide et la police a dit : « OK, vous pouvez utiliser les effets pyrotechniques mais plus aucun effet sonore ». Du coup, en effet, ce n'était pas le set complet.

Sabrina : Reprenons notre discussion d'hier soir... Tu nous disais vouloir parler de littérature, de cinéma et de recette de cuisine !

J'étais un peu saoul hier soir, mais parlons de tout ce que vous voulez ! (rires)

Sabrina : Tu as fait allusion au « fantasy hockey » et nous serions assez curieux de savoir ce dont il s'agit !

En fait, les « fantasy sports » en général sont très connus aux Etats-Unis et au Canada. Il existe même des magazines à ce sujet ! Donc comme je suis un fan de hockey, nous avons une ligue de 60 personnes. Ça se joue sur Internet et ça s'appelle Fan Trax. Vous pouvez également aller sur Yahoo. En fait, il existe de nombreux services de « fantasy hockey ». En gros, vous formez votre propre équipe de véritables joueurs NHL. Puis, à chaque fois qu'un joueur de votre équipe marque un but, vous recevez une certaine quantité de points. Et cela dure la saison toute entière. Cela s'étale sur plusieurs mois et c'est du sérieux ! Nous avons nos propres maillots imprimés, nous nous rencontrons deux à trois fois par an, tous ensemble. Il y a également l'aspect communautaire. C'est un loisir social fantastique mais aussi incroyablement addictif. Donc je ne le recommanderais à personne. (rires) Personnellement, j'y consacre une à deux heures chaque jour !

Sabrina : As-tu le temps d'y jouer même en tournée ?

Oui, et si jamais je n'ai pas le temps, je me lève une heure plus tôt ! Mais c'est la relaxation ultime, c'est un autre monde, un monde sans danger et c'est une communauté vraiment très sympa, on se fait d'excellents amis, tous finlandais !

Sabrina : As-tu des livres, des films ou des plats à nous recommander ?

Concernant le cinéma, je suis un grand fan de film d'horreur. J'adore ce style, mais cela fait des années que je n'en ai pas vu un vraiment bon, qui fait vraiment peur, à l'exception d'un il y a quelque temps. Ça s'appelle « It Follows ». Du coup, si vous aimez les trucs qui font peur, n'hésitez pas ! Il est déjà sorti en DVD et il reste le film le plus effrayant que j'ai vu ces vingt dernières années. C'est un film américain vraiment excellent, mais totalement indépendant : vous n'y retrouverez pas d'acteurs ou qui que ce soit de connu. Concernant les livres, il y a « The Martian » que je viens juste de finir. Je n'ai pas encore vu le film, car je tenais à finir d'abord le livre.

Tuomas Holopainen à l'occasion de notre interview à Toulouse, le 26 novembre 2015

Elise : J'ai également lu le livre, j'étais inquiète mais le film est lui aussi vraiment bon.

Très bien ! Marco l'a vu lui aussi et il l'a trouvé assez bon. De mon côté, c'est le meilleur livre que j'ai lu depuis un moment. Et donc, un plat ?

Sabrina : Oui, tu nous as dit que tu voulais parler de cuisine donc n'hésite pas !

J'aime cuisiner, de la cuisine végétarienne comme je suis végétarien depuis quelques années. J'aime les saucisses mais c'est vraiment difficile de trouver de bonnes saucisses végétariennes. Alors, j'ai essayé de perfectionner moi-même la recette, sans vraiment y parvenir. Voilà, comment je cuisine ! Mais j'aime beaucoup cuisiner, bien que je ne fasse jamais de dessert, je n'aime pas les desserts. J'aime plutôt tous types de soupes végétariennes.

Elise : Changeons de sujet et parlons de ton tee-shirt. Tyson, Sagan, Dawkins and Hitchens : pourquoi aimes-tu chacun d'eux ?

Et bien, j'ai découvert Neil DeGrasse Tyson avec le remake de la série Cosmos. J'adore ce qu'il fait et j'ai vu la totalité de son travail sur Youtube. Bien sûr, Sagan est mon héros, comme le sont également Dawkins et Hitchens. Ils sont tous mes héros. Je pense que le Monde a besoin de plus de gens comme eux, ils sont la solution pour un monde meilleur.

Elise : Oui, surtout en ce moment d'ailleurs.

Guillaume : L'album traite en grande partie de la vie, de la création et même de la religion. Souhaitais-tu partager ton opinion au sujet de la religion, ou était-ce plutôt une façon de refléter l'opinion des gens ?

Ecoutez la réponse de Tuomas

En fait, il y a une chanson sur l'album, « Weak Fantasy », qui traite de ces thèmes. J'ai été vraiment prudent sur la façon d'écrire ces paroles. Nous en avons discuté avec la totalité du groupe pour que tout le monde soit parfaitement d'accord. Il fallait que cela ne soit pas trop moralisateur, mais nous voulions dire ce que nous pensions et je pense que nous y sommes arrivés. Je ne vois aucune sorte de vertu à croire en quelque chose sans preuve. Je ne comprends pas pourquoi beaucoup considèrent que la foi est une vertu. Il y a un certain nombre de raisons pour lesquelles nous avons un système de justice dans ce monde. Vous vous interrogez sur les raisons, vous avez des preuves, des preuves et encore des preuves, et alors vous donnez un verdict. Je veux dire que c'est comme si quelqu'un était accusé de viol, et que l'on disait : « bien que je n'ai absolument aucune preuve, j'ai la conviction que vous êtes coupable donc vous irez en prison pour dix ans ». Cela ne fonctionne pas comme ça et le monde ne devrait pas fonctionner comme ça. Mais avec la religion, c'est autorisé et c'est quelque chose qui devrait être discuté, en particulier ces jours-ci. L'ensemble des religions se montrent plutôt immunisées contre les critiques, les discussions ouvertes et les remises en cause. Je préfère suivre une ligne de conduite basée sur la science, sur des preuves motivées et débattues, qu'un vieux livre de 2000 ans.

Guillaume : Quand as-tu eu l'idée d'ajouter le message « wake up or die » à la fin du morceau « Weak Fantasy » ?

C'était très en amont, bien avant les événements récents. Il était prévu que ça soit déjà inclus au moment des festivals, mais nous avons oublié, et ça a été ajouté juste avant que nous ayons entamé la tournée, il y a environ trois semaines. Cela provient de l'excellent documentaire « Religolous » de Bill Maher.

Vidéo amateur de Weak Fantasy à Bercy Arena à Paris, le 25 novembre 2015 (NIGHTWISH)

Guillaume : Endless Forms Most Beautiful véhicule un message fort et une imagerie basée sur un thème récurrent. Il est sans doute un peu tôt, mais y a-t-il un nouveau sujet que tu te sens d'attaquer pour le prochain album ?

Il s'est passé environ sept mois depuis la sortie de l'album et je ressens encore cette « gueule de bois cérébrale ». Quand l'album a été achevé, j'étais totalement détruit moralement, dans le bon sens du terme. Mais ensuite, en écoutant l'album, en particulier pendant « The Greatest Show On Earth », je me demandais : « que vas-tu faire ensuite ? ». Et je n'en ai toujours aucune idée. Depuis, je n'ai encore ressenti aucune urgence pour écrire des paroles de chanson. Donc je suppose que je souffre toujours de cette gueule de bois. Et cela semble également être le cas pour le reste du groupe. Pour nous, l'album est déjà une réalisation ultime et je ne sais pas comment les autres ressentent cela, notamment les fans. Globalement, nous pensons que c'est notre meilleur album et que cette chanson, en particulier, est la meilleure. Or, ce que nous allons faire ensuite va nous prendre du temps et je pense que cela prendra plusieurs années avant que le prochain album n'arrive enfin. Malgré tout, il y aura la sortie d'un DVD l'année prochaine.

Elise : Basé sur ce bout de tournée en particulier ?

Nous avons déjà filmé plusieurs choses durant cette tournée. Wembley sera également filmé, comme l'ont été les concerts de Espoo, Mexico et Vancouver. Mais nous ne sommes pas vraiment sûrs de ce que sera le produit final. Il y aura un concert filmé dans son intégralité, et par ailleurs, il y aura des contenus supplémentaires comme des interviews et d'autres bonus de cette nature là. Cela sortira en fin d'année prochaine si tout se déroule comme prévu. Par contre, du coup, un prochain album de Nightwish ne sera envisagé que loin dans le futur.

Guillaume : Voici une question que nous avons déjà posé à Troy. Sais-tu s'il existe une chance pour que nous ayons une deuxième partie de tournée européenne courant 2016 ?

Il n'y en aura pas, parce que nous n'aurons pas vraiment le temps. Il y aura toute une série de festivals européens mais pas de concert en salle. Car en janvier il y aura l'Australie, puis une nouvelle tournée en Amérique du Nord. Ensuite nous irons en Chine, au Japon et en Russie. Nous serons déjà en juin, la saison des festivals. Et enfin, la tournée s'achèvera fin octobre.

Elise : C'est peut-être un peu tiré par les cheveux mais nous avons remarqué que les numéros de piste des morceaux des albums suivent à peu près la même logique : par exemple, la chanson longue en fin d'album et le premier single habituellement au début. On a également remarqué qu'à l'époque où « Edema Ruh » devait être un single, la chanson était placée en numéro 3, puis finalement c'est Élan qui est devenu le single et qui s'est retrouvé en numéro 3.

En réalité, sur Dark Passion Play, le gros morceau se trouve au début et sur Once, « Ghost Love Score » est en avant dernier.

Guillaume : Oui, en effet, il y a quelques exceptions, mais est-ce qu'en général vous suivez une recette ou est-ce simplement un processus aléatoire ?

Non, ce n'est pas du tout un truc conscient. Il est important d'y réfléchir mais au bout du compte, l'ordre est décidé un peu « comme ça ». Je n'y ai jamais beaucoup réfléchi. C'est le groupe qui décide, un peu comme dans le cas de « Edema Ruh » que j'avais mis à la 3ème place et « Élan » à la 8ème place. C'est finalement Marco qui a dit que ce serait mieux de faire l'inverse et j'ai dit « OK ».

Tuomas Holopainen sur la scène du Zénith, à Toulouse, le 26 novembre 2015

Sabrina : Concernant « Edema Ruh », le thème de la chanson nous fait réaliser que ce serait une excellente chanson à jouer sur scène parce qu'il y est question de musiciens qui vont de village en village. Penses-tu qu'à un moment donné elle sera intégrée à la setlist ?

Oui, même sur cette tournée en fait. Nous l'avons répétée, mais ce n'est pas encore ça pour l'instant. Donc peut-être que nous la jouerons après-demain en Suisse ou peu aprés.

Elise : Nous avons pu parler avec Troy lundi dernier, et il nous a dit qu'il y aurait deux nouveaux morceaux aujourd'hui.

Oui, il était prévu au départ que nous jouions « While Your Lips Are Still Red » et « Edema Ruh » aujourd'hui. Mais nous avons déjà joué « While Your Lips Are Still Red » hier, et comme je viens de vous le dire, nous ne sommes pas encore prêts pour « Edema Ruh ». Nous avons encore besoin de la répéter, mais on la jouera très probablement à Londres.

Elise : As-tu des anecdotes de tournée, comme des soucis techniques ou des moments amusants etc... ?

(rires) Il y a eu de nombreuses parties de « poker d'as » (en anglais « poker dice », un jeu avec des dés respectant les règles du poker) entre les concerts et après les concerts. En tout cas, tout le monde est toujours très heureux. On passe d'excellents moments, donc tout va bien.

Guillaume : Est-ce que la vie en tourbus se déroule bien, ou préfères-tu les déplacements en avion comme vous en avez parfois fait en Amérique du sud ?

J'adore le tourbus ! Il n'y a pas d'endroit où je dors mieux que dans un tourbus. C'est peut-être du aux mouvements ou quelque chose comme ça. J'y dors vraiment bien. Par contre, en Amérique du sud, nous avons eu à prendre 18 vols en trois semaines. Beaucoup d'aéroports, de contrôle de sécurité, de vol. C'est un peu épuisant, contrairement à la tournée en Europe où on peut être dans le bus et se sentir à la maison. C'est génial.

Sabrina : En 2004, vous aviez l'habitude de jouer une reprise sur chaque tournée. Est-ce quelque chose que tu aimerais retenter de temps en temps avec Floor ?

En fait, juste avant le début de la tournée, elle m'a suggéré qu'on joue à nouveau « High Hopes ». Il me semble que c'est une de ses chansons favorites. Mais il se trouve que nous avons déjà une longue liste de morceaux à nous, que nous souhaitons jouer, donc ce ne sera pas possible pour cette fois. Et je doute sérieusement que nous rejouions « Over The Hills And Far Away » car tout le monde semble en avoir assez de celle-ci.

Guillaume : Qu'est-ce qui vous a amené à faire des concerts de deux heures à la place de l'heure et demi des tournées précédentes ?

Cela nous a apparu comme la bonne chose à faire, et puis des gens différents ont des énergies différentes.

Sabrina : En tout cas, nous sommes ravis d'avoir deux heures de show !

Sur scène, ça passe assez vite, cela ne semble pas faire deux heures.

Sabrina : Quels sont tes projets pour après la tournée ? As-tu des projets parallèles peut-être ?

Il y a des choses en préparation. Mais 2017 sera plus ou moins une année sabbatique pour Nightwish, je ne pense pas qu'il se passera grand chose durant cette période. Cette année de repos est quelque chose que nous avons planifié. La décision n'est pas définitivement prise mais cela se passera certainement de cette manière, sans doute parce que la réalisation de l'album et cette tournée ont été épuisantes, dans le bon sens du terme. C'est la raison pour laquelle nous avons besoin de souffler un peu, afin de permettre le retour de l'émerveillement et de l'inspiration, particulièrement en ce qui concerne la composition des chansons. Néanmoins, nous avons fait quelques plans à long terme et cela semble très prometteur. Il y a des choses intéressantes à venir et chacun de nous a ses propres projets musicaux, ce qui fait qu'en réalité, nous allons sûrement rester actifs durant cette année de repos, même si rien n'a encore été annoncé. De mon côté, j'ai écrit quelques nouvelles et j'aimerais les voir publiées dans un livre. Il s'agit de quelque chose que je gardais en tête depuis des années, alors voyons si je peux en faire enfin quelque chose.

Elise : S'agit-il de quelque chose que tu prévois de réaliser seul ou avec quelqu'un ?

C'est un projet solo, ça fait des années que je suis sur l'écriture de ces nouvelles.

Elise : Est-ce qu'il sera question plutôt de « fantasy » ou d'horreur ? Et peut-on espérer une traduction en anglais ?

Oui, Fantasy, horreur... Ce serait quelque chose de bizarre situé entre Neil Gaiman et Stephen King ! Et il y a un éditeur qui est déjà intéressé par mon projet, donc c'est cool ! Et je suppose qu'il y aura une version anglaise, si jamais le projet aboutissait.