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« Lorsque j'enseigne à l'université et que j'aborde un nouveau sujet, je distribue des paroles de Serenity à mes étudiants et je leur demande quel pourrait en être le contexte. »

Interview de Georg Neuhauser (SERENITY)

Georg Neuhauser est de ces musiciens passionnants en cela qu'il est lui-même passionné. Cela se distingue immédiatement au ton et au débit de sa voix : l'homme déborde d'énergie et son regard pétille forcément à l'évocation de Leonard De Vinci, le personnage central de Codex Atlanticus, le nouvel album de Serenity. Au bout du compte, cette interview est l'occasion pour le chanteur de la formation autrichienne (mais aussi professeur d'Histoire à l'université) de nous donner un cours express sur la Renaissance.

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Propos recueillis à Paris par Sabrina et Guillaume le 13 novembre 2015, retranscrits et traduits par Sabrina.

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Sabrina : Vous avez consacré la plupart des chansons de vos deux précédents albums à des personnages historiques. Cette fois, vous avez passé l'étape du dessus et avez décidé de consacrer l'intégralité de votre nouvel album à Léonard De Vinci. Pourquoi avez-vous choisi ce personnage en particulier ?

Georg : En fait, c'était un choix assez facile, tout d'abord parce qu'il vivait pendant les 15ème et 16ème siècles, cette période qui me passionne tellement et sur laquelle j'ai écrit ma thèse de doctorat. Et notre bassiste Fabio est italien, donc il est bien sûr très fier que quelqu'un comme Léonard De Vinci soit originaire de son pays... Et bien sûr Léonard De Vinci était un génie à bien des points de vue : la peinture, mais aussi la technologie et l'ingénierie. Il m'a toujours fasciné. Puis aussi, un jour, je suis tombée sur cette série télé qui s'appelle Da Vinci's Demons. J'étais surpris de voir une série sur Léonard De Vinci et ça m'a forcément beaucoup inspiré. Donc je me suis plongé dans mes livres, j'ai lu sa biographie et je me suis rendu compte que sa vie contenait tellement de chapitres différents ! Et également qu'on pouvait s'intéresser à lui avec de nombreux points de vue différents. C'est donc pour ça que j'ai suggéré cette idée aux autres et ils ont vraiment adoré ça ! Ils étaient super excités à l'idée de faire un album concept à propos d'une seule personne, surtout que c'est la première fois que nous faisons ça !

photo de Fabio d'Amore en studio pour Serenity

Sabrina : Comme tu l'as dit, Léonard De Vinci a fait tellement de choses dans sa vie que tu pourrais probablement écrire dix albums à propos de lui. Comment as-tu travaillé sur les paroles ? De quels aspects de lui et de sa vie as-tu décidé de parler ?

Il y a beaucoup d'aspects différents. Par exemple, il y a une chanson qui s'appelle « Perfect Woman » qui parle de Mona Lisa : il voulait vraiment créer quelque chose de spécial, qui sorte complètement du lot par rapport à ce qui se faisait artistiquement à cette période. Tu as ensuite des chansons comme « Caught In A Myth » ou « Spirit In The Flesh » qui parlent d'anatomie parce qu'il était l'un des premiers à étudier le corps humain, ce qui était très spécial à l'époque parce que l'église le leur interdisait. Mais il a dit : « Je vous emmerde, je le fais quand même ! » (rires) Et il a tout peint, chaque muscle, c'est vraiment fascinant. De manière général, il y a pas mal de paroles à propos de ce conflit entre cette nouvelle science et l'église de cette époque. Ce sont les principales thématiques. Mais il y a aussi « Sprouts Of Terror » qui évoquent les machines de guerre : il est le premier à avoir créé un tank, il y a ça plus de 500 ans ! Je trouve ça vraiment incroyable parce que le premier vrai tank n'a été construit que pendant la première guerre mondiale, et ce mec, 500 ans plus tôt, en avait déjà dessiné un, mais aussi des machines qui volent. Donc voilà les chapitres qu'on a décidé de traiter.

Sabrina : Dans le groupe, vous travaillez tous dans d'autres domaines que la musique, comme les sciences, l'histoire ou la géographie.

Il le faut... C'est un triste sujet ! (il fait une moue triste)

Sabrina : Mais c'est positif en fait, parce que je trouve que c'est assez proche de l'esprit de la Renaissance et en particulier de Léonard De Vinci, ce qui est intéressant !

C'est vrai, cette combinaison est vraiment dans l'esprit de la Renaissance. Par exemple, dans mon cas, le fait que j'aie réellement étudié l'histoire et l'archéologie, et que ce soit ma période préférée, rend cette combinaison parfaite parce que je peux utiliser mon métier « traditionnel » dans la musique et vice versa. Par exemple, lorsque j'enseigne à l'université et que j'aborde un nouveau sujet, je distribue des paroles de Serenity à mes étudiants et je leur demande quels pourraient en être le sens et le contexte : « Est-ce vrai ou est-ce de la fiction ? »

Photo promo de Georg Neuhauser du groupe Serenity

Guillaume : Est-ce qu'il y a un autre artiste ou personnage historique à propos duquel tu pourrais écrire un album ?

Oui, il y en a plein ! Par exemple, je suis un grand fan d'Albrecht Dürer, un célèbre peintre allemand de la même période que Léonard De Vinci. Mais il y en a d'autres comme Paracelsus qui était un docteur mais aussi un scientifique, un artiste typique de la Renaissance, en quelque sorte ! De manière générale, cette période est tellement fascinante que je pourrais m'imaginer écrire un album sur n'importe lequel de ces personnages. Et puis, il y a aussi la possibilité d'écrire un album concept à propos de l'un des « méchants » de l'Histoire. Un album concept sur Napoléon, par exemple. On a déjà écrit une chanson sur lui (« The Art Of War » sur l'album War Of Ages) mais il y aurait largement assez de contenu pour écrire tout un album à son sujet. Et bien que pour certaines personnes il soit encore considéré comme un héros, si on vraiment honnête, il était aussi un méchant homme.

Guillaume : Oui, il est très controversé !

Voilà, exactement ! Mais d'un autre côté, il a aussi créé le Code Civil, ce qui était quelque chose plutôt cool à l'époque. Mais il a aussi fait la guerre contre la Russie et y a perdu presque toute son armée.

Sabrina : Comme tu l'as déjà évoqué, tu as un doctorat en Histoire et tu nous as dit que celui-ci était en rapport avec l'histoire des 14ème et 15ème siècles. Mais est-ce que ton doctorat a aussi un rapport direct avec Léonard De Vinci ou la Renaissance, ou est-ce à propos d'un tout autre sujet ?

Non, c'est à propos du minage, de l'argent, et l'exploitation minière en général. Mais ce qui est marrant avec ce sujet c'est qu'il y a aussi beaucoup d'influences de la Renaissance. Parce que forcément, à cette époque, les gens qui travaillaient dans les mines attrapaient de nombreuses maladies à cause des méthodes de travail de l'époque. Et donc il y avait des médecins comme Paracelsus qui étudiaient le corps et expérimentaient avec divers liquides et médicaments. Bien sûr, l'exploitation minière se faisait pour l'argent, et du coup tout est un peu lié à cette époque. Donc mon doctorat n'avait pas vraiment de lien direct avec Léonard De Vinci en personne, mais l'ensemble de la période, le contexte dans lequel il a vécu, faisait partie de mon doctorat.

Guillaume : Comme nous l'avons déjà dit, tu as décidé de consacrer cet album à une seule personne. C'était le niveau suivant après avoir parlé de nombreux personnages historiques différents dans tes deux précédents albums. C'est peut-être trop tôt pour le dire mais penses-tu continuer à faire des albums entièrement consacrés à une seule figure historique ?

Comme tu l'as dit, c'est un peu tôt  : que je n'ai pas encore réfléchi au prochain album vu que celui vient tout juste d'être finalisé et qu'il n'est même pas encore sorti. (rires) Mais je m'imagine tout à fait refaire ça, parce que c'était vraiment très sympa d'avoir à ne s'intéresser qu'à une seule personne, et non plusieurs. Parce que lorsque tu te concentres sur une seule personne, tu as la possibilité d'aller plus en profondeur dans sa vie. Sur nos précédents albums, tu ne vois qu'un fragment de leur vie. Par exemple pour Napoléon, une seule chanson n'est vraiment pas assez. (rires) Donc je pourrais tout à fait m'imaginer continuer ce type de concept. Et je pense que nous allons de toute façon rester dans les thématiques historique ! Il se peut qu'on change un peu de période mais on restera dans cet esprit !

Sabrina : Musicalement, on reconnait bien la marque de fabrique de Serenity mais on a l'impression que votre musique est devenue encore plus épique, en particulier sur des morceaux comme « Iniquity ». Avez-vous eu l'occasion d'enregistrer avec des musiciens classiques ou des chœurs, cette fois ?

Lorsque tu écoutes l'intro, tu peux constater que c'est la première fois que nous utilisons de vrais instruments classiques. Par exemple, il y a un vrai violoncelle au début. C'est un peu comme dans Game Of Thrones (il fredonne le générique de Game Of Thrones), parce que je suis un grand fan de cette série, bien sûr. (rires) J'ai donc été un peu influencé ! Et cet album en général a été influencé par les musiques de films, comme celle de Game Of Thrones, de Gladiator ou d'autres dans le même genre. J'ai été influencé par les mélodies, mais aussi par les scènes. On avait même souvent des scènes de ces films ou séries sous les yeux quand on écrivait la musique. Donc, oui, c'est épique et peut-être moins progressif, mais d'une certaine façon plus accrocheur. Les mélodies rentrent facilement dans la tête et elles ont du mal à en sortir. En tous cas, en ce qui me concerne, quand je conduis en les écoutant, je chante tout le temps : (il fredonne) « na na na na na... » (rires)

Sabrina : Oui, « Iniquity » par exemple reste très facilement dans la tête !

Et ce sera d'ailleurs la première lyric video qui sortira la semaine prochaine. La prochaine sera sûrement « Follow Me ». Puis nous ferons encore un autre clip, mais nous ne sommes pas encore fixés sur le choix de la chanson. Est-ce que tu as des préférés pour l'instant ?

Lyric video de Iniquity par Serenity (2016)

Sabrina : Et bien il y a « Iniquity »...

C'est déjà un single !

Sabrina : ensuite « Follow Me »...

Aussi un single ! (rires) Il m'en faut un troisième !

Sabrina : Je dirais « Spirit In The Flesh ».

En fait, on pense plutôt à « Perfect Woman », bien qu'il y ait une grosse influence de Meat Loaf sur celle là, donc on verra. Mais Amanda Somerville y a contribué, et comme j'aime énormément sa voix... Et puis c'est le seul duo de l'album, donc on verra !

Guillaume : Est-ce que tu peux nous en dire un peu plus à propos d'Amanda et de sa participation à l'album ?

Amanda Somerville fait beaucoup de choses, comme Avantasia par exemple, et dans sa carrière, elle participe souvent aux concepts de « Rock meets classic ». Elle a aussi son propre groupe avec Trillium. On a déjà fait un duo ensemble pour l'album Death And Legacy sur la chanson « Changing Fate ». Et j'aime tellement sa voix que je voulais à nouveau l'avoir sur notre album. Sur l'édition normale, il n'y a qu'un duo, mais sur l'édition limitée il y aura également un duo avec Tasha, notre chanteuse « live ». Elle tourne avec nous en tant que guest, donc on s'est dit que ce serait bien de l'inclure aussi sur l'album.

Guillaume : Comme tu l'as dit, sur la chanson « Perfect Woman », il y a une forte référence à Meat Loaf en particulier sur les parties au piano...

Ecoutez la réponse de Georg

(il interrompt) Oui et tu sais, ça n'est pas quelque chose que je dénie ! Je le proclame même haut et fort ! (rires) Parce qu'il y a ce truc bizarre que je trouve en général très agaçant : ces derniers temps, il y a des groupes comme Blue Pills et Kadavar qui ont ce style très « années 70 », et qui sont très à la mode justement parce qu'ils copient la musique de cette époque, et ce sont des héros grâce à ça. Donc personnellement, lorsque je ne copie pas mais que je m'inspire de groupes comme Meat Loaf ou Queen, je ne vois pas où est le problème. Par exemple, sur Phantasma, il y a cette chanson qui s'appelle « Crimson Course » (il fredonne la mélodie de la chanson) qui est très inspirée de Queen. Donc je dis : « oui, c'est inspiré de Queen parce que je suis un grand fan ». Où est le problème dans le fait d'utiliser la musique de quelqu'un dont tu es très fan ?

Guillaume : Bien sûr, il n'y a aucun problème avec ça, mais c'est vrai que pas mal de groupes ont du mal à l'assumer ou même à l'admettre !

Je sais bien, mais pourquoi ? Ecoutez le nouvel album de Muse, il y a du Queen partout, tous les chœurs et la musique font penser à Queen. Queen n'existe plus vraiment parce que Freddie n'est plus là, donc pourquoi ne pas s'inspirer de lui ? C'est une putain de bonne musique ! Donc voilà pourquoi il y a cette partie dans « Perfect Woman » (il fredonne la mélodie de « perfect Woman ») qui fait explicitement penser à Meat Loaf. Mais comme c'est une super chanson alors on s'en fout ! (rires)

Guillaume : J'ai lu dans une interview (reprise sur Wikipedia) que le nom de votre groupe « Serenity » est une référence à la série TV Firefly, et en particulier au long métrage du même nom que Joss Whedon a fait ensuite. Je n'ai pas trouvé d'autre référence à ça ailleurs, donc peux-tu nous dire si c'est effectivement vrai ?

Non, ça ne l'est pas ! En fait, « Serenity » est une chanson du groupe de rock progressif qui s'appelle Arena. Ils ont sorti un album et sur cet album il y avait la chanson « Serenity ». Et quand notre ex-claviériste, Mario, a fondé Serenity, il a pris ce nom parce qu'il était un grand fan du groupe Arena et qu'il trouvait que ce mot décrivait bien notre musique. Voilà donc pourquoi on s'appelle « Serenity », et ce n'est donc pas en référence à la série.

Clip video de Wings Of Madness par Serenity (2013)

Guillaume : À tout hasard, est-ce que tu connais la série ?

Oui, de nom, parce que beaucoup de gens nous posent cette question, mais ça n'a aucun lien ! (rires)

Sabrina : Pour rester dans le sujet, on sait que tu écris principalement à propos de personnages historiques depuis l'album « Death And Legacy ». Mais tires-tu également ton inspiration de films, de séries TV, de jeux vidéo ou d'autres arts pour l'écriture de vos chansons et de vos paroles ?

Non pour les jeux vidéo, parce que je n'y joue jamais. Notre ancien guitariste était un gros gamer, mais moi pas du tout ! En revanche, le cinéma est bien sûr une importante source d'inspiration. Cela dit, la plus grosse source d'inspiration reste pour moi mon domaine d'étude à l'université. Par exemple, quand tu écoutes War Of Ages, ça parle de la « German Cross », symbole de l'armée prussienne, et des nombreuses guerres comme la bataille de Tannenberg. Il y a aussi Napoléon et Elizabeth Bathory, cette comtesse meurtrière à propos de qui nous avons fait une chanson et un clip vidéo. J'ai été amené à connaître tous ces sujets grâce à mes études. Donc j'en ai parlé aux autres et je leur ai demandé ce qu'ils en pensaient. Et ils les ont trouvé intéressant. C'était du genre : « Oui, ce sujet est cool, celui là aussi, mais celui-là, je ne l'aime pas ». Donc voilà la principale source d'inspiration ! Mais comme je le disais, les films peuvent aussi être une source d'inspiration. J'aime particulièrement les grands films historiques très épiques comme « Gladiator » ou « Kingdom Of Heaven ».

Guillaume : Aimes-tu également les compositeurs des musiques de ces films ?

Oui, bien sûr : Hans Zimmer, Howard Shore et ce qu'il a fait pour « Le Seigneur Des Anneaux » et « Le Hobbit ». En fait, les musiques d'ambiance me fascinent. Par exemple, hier encore, lorsque j'étais dans le train pour venir à Paris, j'étais justement en train de regarder « Gladiator » et cette musique (il fredonne le thème de Gladiator) te donne presque envie de pleurer tellement c'est beau ! (rires) Oui, je suis vraiment amoureux de ces gens, comme Hans Zimmer ou John Williams.

Sabrina : L'illustration de la couverture de votre nouvel album est assez sombre et mystérieuse. Le visage de Léonard De Vinci est en partie dans l'ombre. Avec cette capuche noire et tous les cranes, il me fait penser à une représentation de la mort. Qu'en penses-tu ?

En arrière-plan, tu peux voir que la pièce où se situe l'action fait typiquement Renaissance, et au premier plan, tu peux voir qu'il y a des dessins d'anatomie. Or, comme ils étaient interdits à l'époque, il porte cette cape noire pour ne pas qu'on reconnaisse son visage et qu'il puisse ainsi rester anonyme. Il y a aussi beaucoup de symboles  : par exemple, tu peux voir un calice avec l'œil des francs-maçons représenté dessus, ainsi que le compas qui était également un symbole franc-maçonnique, franc-maçon dont Leonard De Vinci faisait bien sûr partie. Donc, au final, lorsque tu regardes attentivement cette illustration, tu peux voir de nombreux détails, tous véritablement en rapport avec sa vie et l'Histoire en général. D'ailleurs, les peintures que l'on voit en arrière-plan sont de vraies peintures de Leonard De Vinci. Dans le livret, vous pourrez également retrouver ses peintures, ses dessins d'anatomie et encore beaucoup d'autres choses.

Cover art of Codex Atlanticus (2016)

Sabrina : Finalement, Codex Atlanticus est le nom du livre dans lequel ont été recueillis tous ses dessins. On peut donc dire que le livret sera comme une sorte de Codex Atlanticus ?

Oui, exactement. Les parties écrites ont été vraiment écrites à la main, et non grâce à un ordinateur. Donc, oui, c'est vraiment comme s'il s'agissait du vrai Codex Atlanticus.