Guillaume : Comment s'est déroulée la composition avec deux nouveaux membres au sein du groupe ?
Marco : En fait, la composition et la plupart des paroles sont toujours faites par Tuomas. J'ai apporté quelques unes des parties instrumentales. Certaines de mes paroles ont également été incorporées, mais pas tant que ça, seulement quelques lignes ici ou là dans une poignée de chansons. Mais en dehors de ça, la musique était déjà écrite. Lorsque le processus d'arrangement et de répétition a démarré, nous étions tous présents et je pense que Floor et Troy sont eux aussi arrivés avec une série de petits détails à ajouter. À partir du moment où nous avons commencé à répéter, il était bien plus facile d'appréhender l'ensemble de l'album : les structures, les paroles et les mélodies. Cela m'a permis d'essayer des harmonies et plein d'autres choses qui ont pu également fusionner au cours des sessions d'enregistrement et qui ont été enregistrées ainsi. Finalement, on peut dire que le processus fut assez ouvert et démocratique.
Guillaume : Comment le travail a-t-il été réparti entre Kai et Jukka ?
Et bien, Kai joue sur l'intégralité de l'album, ce qui n'est pas le cas de Jukka. Bien sûr, Jukka était présent au début de la phase de répétition. Mais assez tôt, il a fini par reconnaître qu'il ne pourrait pas en faire plus, puisqu'il ne pouvait plus dormir. Si tu es batteur et que tu perds la faculté de compter jusqu'à quatre, ce n'est juste plus possible. Il a dit : « c'est trop difficile de jouer, mon cerveau n'est plus capable de travailler ». Il a été le premier à contacter Kai et à lui demander s'il serait partant pour le remplacer si les choses tournaient vraiment mal. Et Kai a dit qu'il voulait rendre hommage à Jukka en écoutant ce qu'il a fait sur les précédents albums, en prenant ceci ou cela, en apportant son propre jeu et en faisant quelque chose entre les deux. Et je pense que cela marche plutôt bien. D'ailleurs, tu peux entendre qu'au premier abord cela sonne assez simple mais que Kai a pu apporter sa propre expérience technique, et il en a beaucoup. Cette période n'a vraiment pas été facile, mais cela a été la seule chose compliquée dans l'élaboration de cet album. En dehors de ça, ce fut une phase vraiment facile et de qualité : lorsque nous nous sommes rassemblés pour travailler sur les chansons avec Kai, tout allait mieux. Fondamentalement, en ce qui concernait l'album, nous ne nous sommes inquiétés de rien. Évidemment, Jukka n'a pas été exclu ou quoi que ce soit de cette nature là. Il est toujours dans l'organisation, il continue de s'occuper des affaires du groupe, tout ce qui n'affecte pas son sommeil. En tout cas, si je devais m'occuper de tous les papiers et des contrats comme il le fait, je perdrais sans doute mon sommeil et ma santé mentale ! (rires)
Guillaume : Mais aujourd'hui, est-ce que Jukka va mieux ?
Ecoutez la réponse de Marco
Je pense qu'il va mieux. Récemment, il a pu dormir correctement, il a récupéré du tonus. Mais c'est tout le problème : lorsqu'il a du temps libre et qu'il est à la maison, il est toujours capable de trouver le sommeil. Mais dès qu'il se lance dans les répétitions ou dans la vie du groupe en tournée, immédiatement ça tourne à toute vitesse dans sa tête et ça ne s'arrête plus. Et je suppose qu'il peut y avoir un traumatisme du passé qui pourrait l'affecter. Il a tenté beaucoup de choses, il a essayé un milliard de trucs, et nous avons également proposé quelques idées. Il y a eu les médicaments, des thérapies, les psychiatres, l'hypnose et même des combinaisons de tout ça en même temps qui ont été tentées. Mais cela n'a pas semblé aider. À chaque fois que tu touches à l'aspect chaotique des tournées, le problème redémarre.
Nicolas : C'est la première fois que tu écris quelques paroles. On sait que tu as toujours été un fan d'astronomie et les paroles de l’album y font référence. Quelles sont les chansons pour lesquelles tu as écrit des paroles ?
En fait, j'ai toujours été un fan de science et de science-fiction.On en fait mention dans « Weak Fantasy ». La plupart des paroles ont été écrites par Tuomas, mais je me suis dit que cette partie en particulier méritait quelques paroles. Donc j'ai chanté par dessus cette chanson et j'ai écrit les paroles que j'avais essayées. J'ai donné tout ça à Tuomas. Quand il les a lues, Troy était également présent et comme sa langue maternelle est l'anglais, il pouvait nous confirmer qu'elles sonnaient correctement. Alors on s'est dit : « mettons-les de cette façon ». Et l'autre élément était lorsque j'ai apporté mes démos à Tuomas il y a de cela un an. J'avais également écrit des paroles, mais plutôt des paroles de travail, simplement pour chanter quelque chose par dessus les parties que j'avais composées. Et parfois, même s'il s'agit uniquement de quelques démos faites assez rapidement, tu te dis que le résultat est bon. (rires) Je m'étais préparé à ne pas utiliser ces éléments, mais Tuomas m'a sollicité au sujet de ce titre en particulier : il y avait quelques lignes qu'il cherchait mais qu'il ne trouvait pas. Mes paroles correspondaient justement à ce qu'il voulait dire. Alors je lui ai dit : « c'est ton rôle, mais si tu penses que ces paroles sont OK alors allons-y avec ça ! ». Mais en définitive, je lui ai toujours laissé la décision.
Nicolas : À ton avis, quelle chanson fut la plus difficile à composer ?
Je ne pense pas qu'il y ait eu quoi que ce soit de particulièrement difficile. Certaines chansons ont nécessité un peu plus de prises et d'autres ont été enregistrées pratiquement d'une seule traite. En tout cas, durant ces sessions, depuis les répétitions aux studios, en passant par tout le reste, tout s'est déroulé sans douleur. Cela s'est passé avec la meilleure alchimie de groupe possible et rien n'a été dur.
Nicolas : Et as-tu des morceaux favoris ?
Non, l'album forme un tout. Il faut l'apprécier dans son ensemble avant de pouvoir en désigner quelques uns. Mais bien sûr, cela deviendra plus évident avec le temps.
Guillaume : Quelles sont les chansons que vous avez le plus hâte de jouer sur scène ?
Et bien, j'aime l'idée de jouer « Weak Fantasy » ou « Yours Is An Empty Hope » parce que ce sont des morceaux vraiment punchy. Nous devrions être capable de donner une bonne claque au public. (rires)
Nicolas : A quel moment et pourquoi avez-vous choisi ce thème, qui est très orienté sur la réalité des choses et la science, contrairement aux albums précédents ? Est-ce que cela a eu une influence sur la composition ?
C'est encore Tuomas ! Il lisait les livres de Dawkins et aussi ceux d'autres scientifiques ces dernières années. D'ailleurs, la science ne lui a jamais été étrangère : pendant une longue période il a rêvé de devenir biologiste marin. C'est la même chose pour moi et j'ai discuté avec lui au sujet des chansons, des paroles, des idées etc... La formation du système solaire et des planètes, l'émergence de la vie, l'évolution sont des sujets que j'apprécie également dans la mesure où je suis moi-même un passionné obsessionnel de science et science-fiction. (rires)
Guillaume : Dans une certaine mesure, on pourrait songer que les thèmes du nouvel album sonnent comme une sorte de réponse aux gens qui pensaient depuis des années que Nightwish est un groupe chrétien. Qu'en penses-tu ?
Si certaines personnes sont rebutées par l'aspect scientifique ou évolutionniste des choses, alors je n'ai aucune pitié pour eux. De mon point de vue, ces gens refusent de voir des choses qui sont autrement plus réelles qu'un livre vieux de 2000 ans qui a été traduit dans un objectif d'asservissement par des organisations qui veulent prendre l'argent des pauvres. (rires)
Guillaume : Quelques chansons de Nightwish couvrent des thèmes relatifs au christianisme. Parmi elles, je pense à « Planet Hell », « Higher Than Hope » ou « The Poet And The Pendulum ». Tuomas a déjà dit que pour lui, la religion est avant tout une philosophie, avec de bons principes et de bonnes pensées, et que Dieu est une sorte de gars grassouillet qui apprécie les bonnes choses de la vie. Quelle est ton opinion ?
Lorsque je regarde le Monde, je ne pense pas que Dieu soit juste, mais s'il existe, il a forcément de l'humour. Ce que je veux dire, c'est qu'avoir Dawkins sur cet album pousse beaucoup de monde à croire que nous rejoignons le mouvement athée. Mais je pense que, dans ce cas, il s'agirait d'une démarche militante. Je dois dire que dans mon monde, je n'ai pas vu d'organisations religieuses ou de système politique faire grand chose de bien. Mais je ne vais pas nier qu'il pourrait y avoir quelque chose de plus grand derrière tout cela. Seulement, de mon point de vue, c'est un peu comme si une bactérie cherchait à savoir si elle se déplace sur un être humain.
Nicolas : Richard Dawkins est un biologiste renommé et il est probablement souvent sollicité pour prendre part à des projets. D'après toi, pourquoi a-t-il accepté votre requête ?
J'aimerais savoir ! (rires) Je veux dire par là que cet homme est lui-même une sorte de mystère. La seule chose qu'il a faite dans le monde du divertissement ce sont les Simpsons, et désormais un album de Nightwish. Je pense que c'est énorme de l'avoir eu pour cet album. Mais concernant ses raisons personnelles, je ne sais pas, vous devriez lui poser la question.
Guillaume : La face B de Elan s'appelle Sagan. Est-ce que Carl Sagan est une de tes influences comme l'est Dawkins pour Tuomas ?
Absolument ! Même si Tuomas a également lu Sagan. Mon premier rapport à Carl Sagan était sans doute le film Contact. Et je n'ai pas lu Dawkins tant que ça. Je suis à l'aise en astronomie, les livres à propos des étoiles, comment elles naissent à partir de nuage d'hydrogène, puis se consument, pour se transformer en atomes qui constituent aujourd'hui mes mains. Ils sont âgés de plusieurs milliards d'années et sont nés au cœur des étoiles. C'est assez miraculeux. Mais oui, Sagan est probablement aussi une grande influence pour Tuomas.
Nicolas : Pourquoi Sagan est-il le morceau en bonus track plutôt qu'un autre morceau ?
J'imagine que cela aurait pu être un autre morceau... Il faut en choisir un car l'album est déjà tellement rempli que cela ne rentrerait pas sur un support CD. Donc il fallait en supprimer un et tu connais lequel.
Nicolas : Avez-vous enregistré d'autres bonus tracks ?
Non.
Nicolas : Prévoyez-vous de sortir un autre single après Élan ?
Oui, bien sûr, il y a eu des discussions à ce sujet. Nous verrons à quel besoin il faut répondre pour effectuer ce choix, les ventes d'albums, et de singles en particulier, étant ce qu'elles sont de nos jours. Mais je pense que nous sortirons au moins un autre clip-vidéo qui pourra certainement être considéré comme un single. Mais il se pourrait qu'il sorte également en CD.
Nicolas : Mais vous ne savez pas encore de quelle chanson il s'agira ?
Si, en fait je sais, mais je ne vais pas vous le dire ! (rires) Cela n'a pas encore été décidé officiellement pour le moment, désolé !
Nicolas : Parlons du single. Comment avez-vous pensé au mot « Élan » ? Quelle est la signification de ce mot pour vous ?
En fait, on m'a juste expliqué qu'il s'agit d'une métaphore au sujet de la soif de la vie, pour le « ici et maintenant », et le « vas-y et fais-le ». Est-ce juste ? Et en réalité, Tuomas est celui qui a lu ce mot quelque part donc il faudrait lui demander ! C’est lui qui m'a raconté ce qu'il signifie et j'ai dit : « OK c'est un bon titre de chanson ! ». Cela aurait presque pu faire également un titre d'album. Mais finalement, nous avons retenu la citation de Darwin « Endless Forms Most Beautiful » (« Une Quantité Infinie de Belles et Admirables Formes »), ce qui ne fait certainement pas référence à nous, les garçons du groupe. (rires)
Guillaume : Hier, vous avez pu visionner le clip vidéo de Élan. Est-ce que tu l'as aimé ?
Oui. J'aime l'attitude positive et optimiste de cette vidéo ce qui correspond à ce que nous nous attendions à voir. Mais bien sûr, je ne peux pas entrer dans les détails. Il y a un nombre important de décors dans ce clip.
Entre temps, le clip a été diffusé, vous pouvez retrouver la vidéo de Élan sur Youtube.
Guillaume : Même si Endless Forms Most Beautiful n'est pas un album concept, de ce que nous en avons déjà entendu, il semble que la plupart des chansons soient en rapport avec la théorie de l'Évolution et l'histoire de la Terre. Mais « Edema Ruh », qui est inspiré d'un roman d'heroic fantasy ne semble pas coller à ce thème...
Si nous considérons quelque chose se rapprochant d'une idée de concept pour cet album, il ne s'agit pas strictement du thème de l'Evolution. Nous en parlons beaucoup dans des chansons comme « The Greatest Show On Earth » et quelques autres sur l'album. Mais disons qu'avec « Élan », il est plutôt question de considérations au sujet de la vie. Et c'est un point commun avec la plupart des chansons, pratiquement chacune d'entre elles. « Edema Ruh » est issu de la trilogie « King Killer Chronicles » de Patrick Rothfuss. Tuomas en a eu connaissance de son côté et c'est également mon cas. Et j'étais un peu surpris : « oh, tu aimes ça également, c'est cool ! ». À l'origine, il y a ce groupe de gipsy médiéval, ces artistes qui vont de ville en ville pour aider les gens à oublier leur quotidien pendant un petit moment. Donc tu peux comprendre comment cela se rapporte au monde d'aujourd'hui, à notre groupe et aux personnes qui le composent.
Guillaume : La dernière chanson dure 24 minutes ! Est-ce que cette durée a été ajustée pour faire exactement 24 minutes, comme une analogie des 24 heures qui composent un jour terrestre ?
Non, je ne pense pas ! En tout cas, nous n'en avons pas parlé de cette façon. Mais Tuomas a dit que cela correspondait assez bien à la durée parfaite pour ce qu'il envisageait. Et je dois le reconnaître, j'aime bien les éléments d'ambiance de ce morceau. En fait, si tu veux essayer de couvrir 4.6 milliards d'années avec la formation du système solaire, de la planète Terre, l'émergence de la vie, et l'évolution, la plus courte durée à laquelle nous sommes parvenus est 24 minutes !
Guillaume : Du coup, penses-tu que la chanson pourrait figurer dans votre setlist ?
Oui, il y a de grandes chances. Nous en avons parlé, nous allons tester toutes les chansons de l'album durant les répétitions, dans l'objectif de déterminer celles qui fonctionneraient ou non. Aussi, pour « The Greatest Show On Earth », il y a une forte probabilité pour qu'elle soit incluse dans une setlist de concert. Mais si nous ne faisions pas des concerts d'une heure et demi, ça n'aurait aucun sens !
Nicolas : Que peux-tu nous dire au sujet de la prochaine tournée ?
Pas grand chose encore pour le moment. Vous le savez déjà : nous allons commencer avec une tournée aux États-Unis à compter du 9 avril à New York. Puis à Los Angeles, ce sera notre plus grande salle jamais faite aux Etats-Unis. J'y suis allé l'été dernier et en effet, c'est un lieu assez impressionnant ! Nous allons faire cela pendant cinq semaines et puis à notre retour nous aurons quelques semaines de pause. Alors, il y aura les festivals de l'été, puis l'Amérique du Sud, la tournée européenne, et enfin l'Australie et le Japon. Nous avons essayé de couvrir tous ces endroits, mais je n'ai pas encore vu les dates et les durées dans le détail, de manière concrète. Je suis ravi que les promoteurs s'occupent de ces choses là car c'est un cauchemar de logistique et je préfère rester en dehors de ça ! (rires)
Nicolas : Avez-vous déjà songé à des éléments pour la scène, comme des écrans ou d'autres éléments ?
Oui, bien sûr. Nous avons déjà eu quelques séances de brainstorming à ce sujet au cours desquelles les idées étaient abondantes. Je pense qu'il y en avait assez pour trois tournées entières ! (rires) Nous avons transmis toutes ces idées à des professionnels de la scène et ils travaillent dessus en ce moment. Ils sauront ce qu'il y a de mieux et ce qui peut être envisagé pour nos concerts.
Guillaume : Nous avons su que vous alliez jouer à Londres à l'Arena de Wembley le 19 décembre prochain. Peux tu nous dire s'il y aura des concerts en Europe juste avant ou après ce concert ?
C'est encore en cours d'élaboration sur le planning. Naturellement, cela a du sens de prévoir plus de concerts pour cette période. Mais te dire où et quand, ou les dates spécifiques, est au dessus de mes moyens.
Nicolas : Vous devriez au moins revenir à Paris !
Je suspecte que cela devrait sans doute arriver. (rires) La France est un endroit incontournable pour le groupe, donc cela n'aurait aucun sens de ne pas jouer dans cette ville ! Je pense qu'on peut être sûr à 99.999999% que nous viendrons cette année ! (rires)
Entre temps, de nouvelles dates se sont effectivement ajoutées à la tournée : vous pouvez retrouver ces dates sur Nightwish France.
Guillaume : Dernière question, si tu avais la possibilité de revenir 10 ans en arrière, quel conseil te donnerais-tu, à toi-même ou au groupe ?
Quel type de conseil pourrais-je me donner... Moins boire ! (rires) C'est ce que je fais, mais j'aurais pu m'y mettre un peu plus tôt.
Guillaume : Pour conclure, es-tu satisfait de la tournure récente que prennent les choses concernant Nightwish ?
Oui, je suis content. Pas de regret, il y a une véritable bonne énergie et de bonnes vibrations dans le groupe, et j'ai même réussi à éliminer quelques démons personnels. Alors à ce point de ma vie, je vais plutôt bien !
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