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« Je donne des cours et au moment de la rentrée, quand les parents d'élève voient arriver un prof de piano métalleux, ça leur fait bizarre. »

Interview de Pierre Le Pape (MELTED SPACE)

C'est avec quelques années de retard que nous découvrons Melted Space, l'ambitieux projet du français Pierre Le Pape. En effet, The Great Lie est déjà le troisième opéra métal de Melted Space, se déroulant toujours dans un monde où les mythologies se mélangent. À l'occasion de son passage au Hard Rock Café à Paris, Pierre Le Pape nous a parlé de son nouvel album, de ses influences ainsi que des nombreux guests prestigieux que l'on y retrouve, dans une interview fleuve que nous vous dévoilons dans son intégralité.

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Propos recueillis à Paris par Sabrina et Guillaume le 28 septembre 2015, retranscrits par Sabrina.

Sabrina : Lorsque tu as composé et écrit l'album, avais-tu déjà en tête les chanteurs qui incarneraient chaque personnage ?

Pierre : Oui. En fait, comme j'avais écrit l'histoire bien avant, j'avais laissé mûrir un peu pour savoir quel caractère je voulais donner à chaque personnage. Du coup, les noms sont venus un peu tout seul. Par exemple, pour la reine des fées, les voix correspondant à ce que je voulais étaient peu nombreuses, donc le choix était assez limité. Les choix se sont donc faits presque tout seul. Et bien sûr, je suis content qu'ils aient accepté. (rires)

Photo promo de Pierre Le Pape dans une bibliothèque

Guillaume : Nous savons que tu aimerais enregistrer avec certains artistes comme Amanda Sommerville, Sharon Den Adel, Russel Allen ou Shagrath. Les as-tu contactés ? Est-ce qu'une collaboration prochaine est envisagée ? Y a-t-il d'autres gens du monde du métal que tu rêves encore d'ajouter à un prochain projet ?

Pour celui-ci, je ne les ai pas contactés parce qu'il est vrai qu'en terme de voix je n'aurais pas eu exactement les rôles leur correspondants. Et puis c'est vrai aussi que ce sont des gens dont je suis très fan.

Guillaume : Est-ce que tu veux dire qu'une certaine distance subsiste entre eux et toi ?

Oui et non, parce que, par exemple, je suis très fan de Mayhem et maintenant que j'ai travaillé avec Attila, on est devenu pote et on reste en contact. Mais c'est vrai que pour Shagrath, je voudrais vraiment faire un truc spécial, pas que ce ne soit pas spécial pour Attila, mais j'attends le bon moment on va dire !

Guillaume : Y a-t-il d'autres gens du monde du métal que tu rêves encore d'ajouter à un prochain projet ?

Oh oui ! Il est vrai que l'album m'a vraiment demandé beaucoup de temps, et je ne m'en remets qu'à peine. Donc, pour l'instant, je n'y pense pas vraiment, mais je suis sûr que ça viendra, car des idées, j'en ai régulièrement. La semaine dernière, j'ai vu l'opéra métal d'Ayreon (The Theatre Equation) qui a été joué en live à Rotterdam et c'est sûr que là, ça m'a donné beaucoup d'idées tellement c'était terrible !

Sabrina : Depuis From The Past, tu mentionnes justement Arjen Lucassen comme une de tes principales influences. Aujourd'hui, il fait partie des musiciens de ton nouvel album. On imagine que tu étais très content de le convaincre. Comment a démarré votre collaboration ?

Oui, bien sûr, c'est un rêve devenu réalité ! En fait, ça a failli ne pas se faire parce que pendant que je faisais mes enregistrements, il était en plein dans ceux de The Gentle Storm. C'était assez marrant parce que on se tenait mutuellement au courant de l'enregistrement de nos trucs. Il me disait ce qu'il faisait et, de mon côté, je lui disais où j'en étais. Je lui ai demandé si on pouvait convenir ensemble d'un planning. Il a finalement trouvé un moment pour faire sa partie : il l'a enregistré en une nuit ! Il a fait quelque chose de complètement fou : je pense qu'il a vraiment amené l'expression du morceau à un niveau bien supérieur que ce qu'il était au départ. Du coup, ça s'est vraiment très bien passé et il était ravi d'avoir pu participer. Quand je l'ai rencontré à Rotterdam, il m'a encore dit : « c'était très cool, le morceau est vraiment bien, donc bon courage pour l'album ! ». J'ai les encouragements du maître ! Donc... voilà ! (rires)

Sabrina : As-tu écouté The Gentle Storm, son dernier projet avec Anneke Van Giersbergen ?

Oui, j'aime beaucoup ce qu'il a fait : en terme d'arrangements, enregistrer deux facettes des mêmes morceaux, c'est vraiment super. Et en terme d'écriture, c'est fantastique. Après, j'ai une petite préférence pour les albums de Ayreon ou Star One, plutôt dans le style métal progressif. C'est vrai que j'ai grandi avec ça, quand j'étais plus jeune. Lorsque je faisais mes études de piano, il sortait ses albums en même temps. j'ai évolué, j'ai construit ma façon d'écrire, de voir la musique en général, en même temps que lui sortait ses albums. C'est pour ça qu'il est pour moi une influence majeure. Je me suis toujours dit que ça devait être super de faire des trucs comme ça ! Et maintenant je l'ai fait ! (rires)

Pierre Le Pape (MELTED SPACE) et Arjen Lucassen (AYREON, STAR ONE, THE GENTLE STORM...)

Sabrina : Même si beaucoup sont français, il y aussi pas mal de gens venant d'un peu partout (Suède, Pays-Bas etc...). D'un point de vue logistique, comment s'est déroulé l'enregistrement de l'album avec tous ces guests ?

Alors, ça s'est fait de plusieurs façons. On a enregistré certains artistes avec le réalisateur de l'album. On est allé à Göteborg pour enregistrer Michael Stanne et au Danemark pour Guillaume Bideau. Ça s'est super bien passé, ce sont d'excellents souvenirs. Par ailleurs, la plupart des chanteurs sont venus à Paris. Cela a été un casse-tête logistique impressionnant, mais on a réussi à tous les avoir, à raison d'un chanteur par jour, pendant deux semaines ! Ça a été vraiment intense parce qu'au final, on a pu caler l'enregistrement de l'orchestre, le Danemark, la Suède et tout Paris sur deux semaines.

Guillaume : Donc le travail sur l'album peut prendre une année (ou même plus), mais au final l'enregistrement est condensé sur deux semaines. Tu devais être lessivé à la fin...

Oui, à la fin, j'étais mort ! (rires) C'est pour cette raison que, tout à l'heure, je disais que l'album m'avait demandé énormément d'énergie. Mais, en fait, la partie musicale est finalement assez courte. L'album a été écrit en trois mois mais l'organisation des enregistrements, attendre les confirmations de tout le monde, réserver les studios, c'est ce qui a été le plus long. En fait, collaborer avec un réalisateur (François-Maxime Boutault) qui travaille habituellement avec Universal nous a permis d'avoir accès à des studios vraiment supers. On a donc vraiment axé le travail sur la qualité du son pour aller au maximum de ce qui était possible de faire avec les moyens qu'on avait. On a vraiment mis le paquet et finalement, le temps le plus long a été celui de l'organisation. Pour en revenir à ta question, il y a trois chanteurs qui ont enregistré à distance : David Vincent et Christine Rhoades parce qu'ils sont aux Etats-Unis et que c'était trop compliqué de les faire venir, et Kobi Farhi parce qu'il n'était pas en Europe à ce moment là, il était à Tel Aviv. On a failli enregistrer pendant qu'il faisait la tournée des festivals mais comme l'orchestre était réservé à ce moment là, tout a été décalé d'une ou deux semaines et... il n'était plus en Europe.

Guillaume : Lorsqu'un des participants de ton album enregistre à distance, arrives-tu toujours à obtenir exactement ce que tu veux ou est-ce qu'il y a forcément une marge de moins bien par rapport à ce que tu avais en tête ?

En fait, pour David Vincent par exemple, on a beaucoup travaillé à distance. Il m'a envoyé ses premières démos afin d'arriver vraiment au plus près de ce que je voulais. Une fois que tout était calé, je lui ai dit ce que j'aimais et ce que j'aimerais voir plus accentué. Puis il a donc fait ses enregistrements définitifs, mais on avait pris le temps en amont de réfléchir à ce que je souhaitais exactement. Et pour le coup, je dois dire qu'il était assez impressionnant : je suis un grand fan de Morbid angel, donc voir pour la première fois « David Vincent vous appelle » sur mon téléphone, je me suis dit : « non, c'est pas vrai ! » (rires, fait mine de se recoiffer) Il m'appelait pour discuter « artistique » parce qu'il avait réfléchi à son personnage, à comment il devait interpréter son personnage, psychologiquement, selon les différents passages. C'était vraiment super intéressant !

Guillaume : Qu'est-ce que tu leur envoies pour travailler ?

Je leur envoie l'histoire et les premières démos sur lesquelles je chante. Une autre chanteuse chante également les parties de chant féminin. Il y a donc un premier travail de ma part qui consiste à baliser le terrain. À partir de là, ils ont quand même une marge de manœuvre, puisque c'est aussi la partie intéressante de ce travail. Du coup, une fois qu'ils ont réfléchi, on en discute pour qu'au moment de l'enregistrement définitif, ils sachent vraiment quoi faire. Et au final, il n'y a aucune mauvaise surprise, il n'y en a que des bonnes ! Lorsqu'ils me disent « tu verras j'ai rajouté une deuxième ligne de chant, tu la gardes ou pas », le plus souvent je l'ai gardée parce que c'est un vrai plus.

Guillaume : Dans la mélodie au piano des couplets de « A God Is Dead », on a cru entendre une influence de Leaves' Eyes (dans le morceau « For Amélie »). Est-ce un clin d'œil volontaire ?

Alors je ne connais pas ce morceau, mais par contre ce n'est pas impossible qu'il y ait une influence « LivKristienne » dans la mesure où dans le premier groupe que j'avais il y a une quinzaine d'années, on reprenait du Theatre Of Tragedy. C'est aussi pour ça que j'ai bossé avec elle sur Between parce que c'est une artiste qui m'est chère. Et bien entendu, je suis super content de tourner avec elle !

Pierre Le Pape et LivKristine au studio Mastersound Entertainment

Guillaume : Justement, le 24 octobre prochain, vous allez ouvrir pour Leaves' Eyes sur la scène du Glazart à Paris. Peut-on espérer l'apparition de Liv Kristine pour l'interprétation de « Dying Legend » ?

Et bien je ne sais pas ! On est en train de voir justement. Mais comme on ouvre, cela voudrait dire que logistiquement, il faudrait qu'elle soit prête deux heures avant son groupe, ce qui n'est par forcément pratique. À voir selon la salle et leur organisation, ce sera la surprise !

Sabrina : En tous cas, si tu as l'occasion d'écouter ce morceau de Leaves' Eyes, tu verras si tu entends la ressemblance !

Leaves' Eyes fait partie des groupes que j'écoute en musique de fond lorsque je bosse chez moi. Je me mets des playlists, donc ce n'est pas impossible qu'à un moment je me sois dit « c'est pas mal ça ! », sans que ce soit forcément conscient.

Guillaume : À propos du line-up de la tournée, peux-tu nous en dire plus ? Est-ce que ce sera comme lors de la tournée précédente ?

Alors, ce sera plus développé dans la mesure où il y aura quatre chanteurs. On va donc vraiment accentuer le côté opéra et les différentes interactions entre les personnages. Il y aura donc deux chanteurs et deux chanteuses : Clémentine Delaunay et Black Messiah qui seront rejoints par Lucie Blatrier, qui est une des choristes de l'album, et Flo (Florent « Rorschach » Charlet) de 6:33.

Guillaume : Par rapport à Arjen Lucassen qui est connu pour être relativement mal à l'aise sur scène, tu sembles au contraire prêt à défendre l'album face au public. Visiblement, tu aimes beaucoup la scène.

Oui, j'aime bien la scène. C'est sans doute parce que je suis musicien de métier. J'aime bien vivre sur scène les morceaux que j'ai écrit, surtout s'il est possible de le faire avec les chanteurs qui les ont enregistrés. Et d'ailleurs, il n'est pas impossible qu'à un moment, on soit rejoint par d'autres chanteurs. Ce ne sera pas sur cette tournée parce qu'on ne passe pas par les pays concernés, mais je sais que tous les chanteurs qui ont participé à l'album m'ont dit : « Si à un moment de la tournée tu viens en Suède, en Norvège etc... alors je viens avec plaisir ! »

Guillaume : Tu fais régulièrement allusion aux jeux vidéo parmi tes principales influences : tu cites notamment Final Fantasy, God Of War ou Castlevania. Tu fais également souvent référence au cinéma et aux musiques de film comme celles de Hans Zimmer ou Danny Elfman. Apprécies-tu les concerts comme le Video Games Live qui mélange jeux vidéo et orchestre symphonique, ou les ciné-concerts comme ceux consacrés au Seigneur des Anneaux, Pirate des Caraïbes, Star Wars etc...?

L'année dernière, je suis allé voir Les Chevaliers Du Zodiaque pour le Pegasus Symphony et c'était magique ! C'est vrai que cela ajoute quelque chose de plus ! Et si on fait le parallèle avec la question d'avant, de savoir si j'aime jouer mes musiques sur scène, c'est vrai que je suis très attaché au live parce que j'ai une culture de groupe, j'ai joué pendant très longtemps dans des groupes, même encore maintenant. Donc c'est vrai que voir l'oeuvre en live offre une dimension supplémentaire, en particulier si le son est bien mixé. En tout cas, c'est vrai que Pegasus Symphony était vraiment extraordinaire. En revanche, je n'ai pas eu l'occasion de voir le Video Games Live en vrai, mais j'ai pu voir plusieurs vidéos. Et ça a l'air extraordinaire et puissant !

Guillaume : Et puis les arrangements font plaisir à entendre parce qu'ils sont différents des originaux. C'est peut-être ça aussi qui te plait dans le live car tu as la possibilité de jouer les morceaux un peu différemment et d'y ajouter les idées qui te seraient venues après l'enregistrement de l'album.

Oui, c'est vrai que l'enregistrement de l'album date déjà d'il y a un an. Et du coup, entre temps, j'ai évolué, j'ai fait pas mal de scène avec d'autres groupes. Donc quand la tournée approche et qu'on a commence à y réfléchir, on se dit qu'il faudrait faire ceci ou cela. En terme de mise en scène, on avait eu l'occasion l'année dernière de faire un concert Melted Space unique, avec pas mal de chanteurs. Et d'ailleurs on avait pu travailler avec un ingénieur lumière pour donner une véritable dimension théâtrale à certaines chansons. On avait pu tester en live « No Need To Fear » et on était ravi de voir que les gens commençaient tout de suite à sauter dessus ! Ils avaient été très réactifs !

Sabrina : Pour les albums précédents, tu as déjà mélangé Dante, la mythologie gréco-romaine ainsi que des anges et démons de l'ancien testament. Cette fois, en plus des personnages de Shakespeare, on retrouve des légendes arthuriennes et la mythologie nordique. Est-ce ton but final avec Melted Space est de réunir des personnages de toutes les mythologies en une sorte de panthéon idéal ?

C'est ça, c'est exactement ça. C'est vrai que j'avais fait une bonne quantité de gréco-romain et je ne voulais pas trop m'enfermer là-dedans pour diverses raisons. J'ai donc essayé de raconter une histoire en prenant un peu de ci, un peu de ça, selon ce que j'avais envie de raconter. C'est vrai que certains personnages se prêtaient plutôt bien à ce jeu-là. Cela permettait aussi de recréer une histoire avec des personnages qui ont déjà un vécu mythologique ensemble. Par exemple, si je m'étais cantonné au panthéon grec, ça aurait été compliqué de recréer une histoire alors qu'ils ont déjà des interactions bien établies. Alors que là, je prends des gens d'univers différents, je les mets ensemble et ça fait une histoire ! Après, j'ai toujours cette idée de film sans image et c'est vrai que, du coup, l'idée de l'album pourrait être un synopsis de blockbuster.

Pochette de The Great Lie, album de Melted Space (2015)

Guillaume : Ce mélange de personnages venus de religions, de légendes ou de littérature différentes nous fait aussi penser à une pratique récurrente dans les jeux vidéo, avec les jeux de combat de type « all-stars » ou « versus ». Qu'en penses-tu ?

J'ai justement installé Injustice sur mon téléphone ! (rires) Mais oui, il y a aussi cette dimension de jeu vidéo. On s'est très bien entendu là-dessus avec Michael Stanne quand j'ai enregistré avec lui à Göteborg. Pendant que Martin préparait la session avec le réalisateur, de mon côté je discutais du personnage avec Michael et il me disait : « c'est marrant, ça me rappelle un peu des jeux à la Castlevania ». Je lui ai dit que justement j'adorais cette licence, en particulier tel épisode de la série etc... Alors il m'a dit : « OK, c'est bon ! ». Il est entré dans la cabine et en une prise, c'était parfait !

Guillaume : Comme quoi le jeu vidéo peut constituer une passerelle même pour se comprendre dans le métal !

Oui, tout à fait. Dans les influences que tu rappelais, il y a God Of War qui est vraiment une épopée très théâtrale dans la narration. Et avoir un héros qui rencontre tel ou tel personnage, de manière souvent inattendue, qui va l'aider ou l'empêcher de progresser dans sa quête, est vraiment quelque chose qui me parle. Au final, les interventions que ce soit celle d'Attila, de David Vincent ou de Michael Stanne sont un peu des interactions que tu retrouves dans les jeux vidéo. C'est presque les boss de fin de niveau. Lorsque David Vincent arrive, c'est très théâtral, et on comprend tout de suite qu'il n'est pas gentil et qu'il n'est pas content ! (rires)

Guillaume : Comme beaucoup d'adolescents de notre génération, tu as grandi avec les dessins animés des années 80-90 et tu appréciais les mystérieuses cités d'or ou les chevaliers du zodiaque. A l'époque, ces productions étaient considérées comme néfaste pour notre génération. Du coup, je voudrais savoir comment tu appréhendes la façon dont les sous-cultures sont traitées en France, en général.

Je serais tenté de te dire que je ne l'appréhende pas dans la mesure où je fais avec. Quand j'étais gamin, mes parents me disaient : « non, les dessins animés ce n'est pas bien, gnagnagna ! » Personnellement, je sais que je prenais un malin plaisir à ne pas accompagner ma mère pour faire les courses et à mettre la télé pour regarder ça, un peu en douce. Après, je pense que les mentalités évoluent. Là où il y a trente ans c'était mal vu, désormais c'est presque célébré, car comparativement à ce qu'on nous sert aujourd'hui, on se rend compte que nous n'étions pas si mal lotis. Mais d'ailleurs, c'est pareil au niveau du métal, en général. Je donne des cours et c'est vrai qu'au moment de la rentrée, quand les parents d'élève voient arriver un prof de piano « métalleux », ça leur fait bizarre. Il n'y a pas vraiment de réticence, mais plutôt un étonnement parce qu'un certain nombre d'entre eux sont finalement assez surpris qu'un « métalleux » n'enseigne pas que la guitare, mais aussi le piano. Cela semble assez étonnant pour eux. Mais cela passe vite, au point qu'on ne parle même plus vraiment de préjugé. C'est vrai qu'il y a un étonnement parce que le look n'est pas très raccord avec l'instrument, ni avec la culture qui l'accompagne. Puis, quand je vais au Hellfest, finalement les parents me souhaitent tous un bon festival, ou lorsqu'on part en tournée, il sont contents pour nous. Donc au bout du compte, je pense que ça a pas mal évolué en trente ans.

Guillaume : Et puis pour ceux qui pourraient être réticents, peut-être que ton CV et ta grosse formation de musique classique peuvent effacer les craintes ?

En fait, je parle vraiment d'étonnement, parce que certains viennent justement parce qu'ils savent que j'ai telle ou telle formation. Or le piano n'est quand même pas réputé pour être un instrument de fou-fou. Du coup, quand ils voient arriver un chevelu avec un t-shirt Mayhem, ils me disent : « c'est vous...? » (rires) Je leur joue un peu de Mozart et puis c'est réglé !

Sabrina : Pour revenir sur ce que tu disais à propos du fait que l'album serait une sorte de film sans image, un clip est-il en prévision pour accompagner cet album ? Peut-être quelque chose dans l'esprit du teaser de The Great Lie ?

C'est dans les tuyaux ! C'est à dire que c'est en cours de réalisation : il faut vraiment trouver le réalisateur adéquat, celui qui a envie de se lancer là dedans. En ce moment, je suis en contact avec quelqu'un qui a l'air très motivé pour relever le défi. Il y a toujours la question, comme au cinéma d'ailleurs, d'avoir une histoire, mais aussi d'avoir un minimum de moyens pour que ça rende quelque chose. Parce que du côté du réalisateur, il y a toujours ce souhait de vouloir faire quelque chose de pas trop cheap. Puis, bien sûr, il y a la question des emplois du temps, parce que si on veut faire un clip de n'importe quelle chanson de l'album, il faut rappeler tout le monde et leur indiquer un rendez-vous tel jour, à telle heure, à tel endroit, et pas forcément dans leur pays. C'est un gros casse-tête et c'est aussi pour cette raison que cela prend beaucoup de temps. Personnellement, j'ai envie de faire un clip depuis longtemps. D'ailleurs, on a été en contact avec Patric Ullaeus qui était partant, mais il y avait un problème d'emploi du temps parce que c'est quelqu'un de très pris et donc malheureusement ça n'a pas pu se faire.

Lyric video de Terrible Fight par Melted Space

Guillaume : Est-ce que tu as prévu de sortir un premier single extrait de cet album ?

Oui, il y a notamment une ou deux chansons qui correspondent au format single sans avoir à « tailler » dedans. Pour « No need to fear » qu'on avait utilisé dans le teaser, on s'est posés la question de la couper pour en faire un format plus court et la sortir en single. Mais le label et le manager m'ont dit : « c'est ta chanson, elle est comme ça, on l'assume. Elle est très longue et ce n'est pas un format traditionnel. Mais dans un monde où il y a quand même pas mal de choses qui se ressemblent, on va assumer cette différence et présenter cet univers dans son intégralité ». C'est vrai que je suis assez content parce que l'équipe du label est super encourageante, parce qu'elle nous soutient à fond dans des choix qui ne sont pas faciles à assumer.

Guillaume : Maintenant que Melted Space rassemble deux albums, un EP et un nouvel album, as-tu une vision d'ensemble de ton concept ? Selon toi, comment s'articulent les albums entre eux ? Envisages-tu de le développer encore ou, au contraire, est-ce que tu commences à entrevoir une fin qui bouclerait bien l'ensemble ?

Désormais, j'ai une vision assez globale. Je sais que ça peut évoluer dans tel ou tel sens. En fait, c'est ça qui est intéressant : maintenant que l'univers est présenté dans son intégralité, je peux aller dans n'importe quelle direction. Après, te dire précisément dans quelle direction j'irai, je ne peux pas vraiment le faire parce que c'est encore trop tôt. J'ai quelques copains qui se moquent et me disent : « Maintenant, fais la guitare, la basse, la batterie, ça te fera un défi ! ». C'est vrai que ce serait un défi, mais c'est vraiment trop tôt pour le dire.

Guillaume : De la même manière que tu disais que le plus beau jour de ta vie était quand tu as découvert l'orchestre symphonique de Prague, est-ce que l'expérience ultime pour toi pourrait être un concert avec orchestre symphonique ?

Ah oui, j'adorerais. Mais, comme pour The Theatre Equation, c'est une lourde logistique, à prévoir au moins un ou deux ans à l'avance. Il y a des organismes officiels, qu'ils soient régionaux ou culturels, qui m'ont demandé si ça m'intéresserait de faire ça. Mais il faut d'énormes soutiens financiers, parce que si ça se fait en France, c'est extrêmement cher. Si cela se faisait à Prague, ce serait moins cher et comme ils ont enregistré l'album, ils sauraient gérer ça. Mais pour l'instant, cela pose beaucoup trop de questions. Je suis vraiment orienté « tournée » avec le groupe, mais une fois que le nom sera bien établi, oui, pourquoi ne pas faire un événement unique avec l'orchestre et tous les chanteurs ?

Guillaume : En relisant tes anciennes interviews, j'ai remarqué que lorsque tu parlais de grosses machines de heavy metal à chant féminin, tu évoquais Epica, Within Temptation, The Gathering ou After Forever. À cette époque, en 2012, tu n'évoquais jamais Nightwish. Mais plus récemment, tu as eu des mots très élogieux au sujet de leur dernier DVD live enregistré au Wacken. Peut-on en déduire que tu n'appréciais pas beaucoup la prestation d'Anette Olzon, et que Floor t'a finalement réconcilié avec le groupe ?

(rires) Bon, c'est vrai que j'écoutais beaucoup Nightwish quand Tarja était au chant, mais depuis mes goûts ont pas mal évolué. Je suis parti un peu plus dans tout ce qui est black/death, c'est à dire Behemoth, Dimmu Borgir, Belphegor, Mayhem, donc des trucs complètement différents. Et en fait, ce n'est qu'assez récemment que je m'y suis réintéressé. C'est vrai que je trouvais les albums bien, mais je trouvais aussi qu'il manquait quelque chose. Et c'est vrai encore que lorsqu'ils ont annoncé son départ, je me suis dit : « ah bon...? » Par contre, lorsqu'ils ont annoncé l'arrivée de Floor Jansen, là je me suis dit : « ah oui, bonne surprise ! » (rires) Dès les premières videos, ça donnait des frissons, et le DVD et le show sont monstrueux. Au Hellfest, c'était génial ! Pour moi, l'arrivée de Floor a marqué la renaissance du groupe, sachant par ailleurs que je n'ai pas vraiment suivi l'actualité du groupe pendant quelques années. Par exemple, je n'ai jamais vu Anette en live, donc je ne me permettrais pas de juger. J'ai vu Floor en live, c'était incroyable, et j'ai vu Anette en vidéo... Disons que c'était un peu moins bien. (rires)

Photoshoot par Guillaume Bideau dans l'atelier de violon Carbonare

Guillaume : Lorsqu'on évoque les projet d'opéra métal, on te compare souvent à Tobias Sammet pour Avantasia ou Arjen Lucassen pour Ayreon, Star One etc... Personnellement, ton parcours me fait également penser à celui de Dan Swanö car, comme lui, tu es sur de nombreux projets parallèles, tu viens du black metal, et tu glisses doucement vers le heavy metal. Qu'en penses-tu ?

Et bien c'est très flatteur, et il y a pire comme comparaison ! Quand on me compare à Arjen Lucassen ou à Tobias Sammet, cela me fait toujours plaisir parce que, comme je le disais, Ayreon est très important pour moi, et Avantasia aussi, dans une moindre mesure. C'est surtout pour le côté « live » qu'on me compare à Avantasia. En ce qui concerne Dan Swano, j'aime beaucoup ce qu'il fait, j'adore sa voix et d'ailleurs il a failli participer à l'album. Ça s'est pas fait pour une question de planning. Mais en tout cas, merci beaucoup ! (rires)

Guillaume : Je disais ça parce que je le connais pour ses collaborations avec Therion, puis ensuite pour ses albums avec Nightingale. Par contre, j'avoue que je connais moins bien ce qu'il a fait en black/death.

C'est sûr que par rapport à Ayreon ou Avantasia, Melted Space a un côté beaucoup plus extrême. Ayreon a un côté très progressif, tandis qu'Avantasia est plus heavy. Ensuite, ce n'est pas une volonté de ma part, mais venant du metal extrême, j'aime toujours avoir ce côté énergique dans mes chansons, donc musicalement, ça raconte autre chose et ça me laisse le champ libre sans être systématiquement comparé à Arjen et Tobias Sammet.

Guillaume : Parmi les grandes œuvres qui t'ont influencé tu cites souvent La divine comédie, Dante, L'Illiade ou L'odyssée. Lorsqu'elles sont associées au métal, je pense immédiatement à la scène métal progressive et à Symphony X en particulier. À ton avis, qu'est-ce qui fait que tu es plus dans une veine black, death ou heavy symphonique ?

Disons que c'est un peu : « chassez le naturel, il revient au galop ! » C'est vrai que lorsque j'écris ou réfléchis à ce que je voudrais entendre, il y a toujours l'intervention d'un grand méchant. Dans ces cas là, cela implique souvent d'aller à l'essentiel et de faire de la musique très directe. Je me verrais mal avoir une interaction avec Micheal Stanne, David Vincent ou Attila sur une mise en place à la Meshuggah. On fait vraiment en sorte qu'il soit possible de se concentrer sur les voix, comme si on déroulait un véritable tapis rouge pour les voix. Pour autant, si on regarde The Great Lie dans le détail, il y a quand même quelques bidouilles un peu prog'. Mais c'est vrai que cela reste des petites touches. Car si l'histoire ne le nécessite pas, alors je ne le fais pas. C'est vraiment l'histoire qui dicte tous les choix musicaux.

Pierre Le Pape à l'occasion de notre interview au Hard Rock Café à Paris, le 28 septembre 2015