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« Pas de réseaux sociaux, pas de contrats, pas de chiffres. Juste de la musique. C'est le seul moyen pour moi de préserver ma santé mentale. »

Interview de Tuomas Holopainen (NIGHTWISH)

Après un concert à Nîmes en demi-teinte et une tournée européenne repoussée deux fois, Nightwish est enfin de retour. Et pour de bon ! Nous avons eu l'opportunité de parler de tout ça avec Tuomas au cours d'une interview rapide, avant qu'il ne soit accaparé par le mathématicien Cédric Villani pour une discussion organisée par un journaliste du Parisien. S'en suivait un concert particulièrement réjouissant dans l'Accor Arena où Nightwish jouait à guichet fermé.

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Propos recueillis à Paris par Nicolas, Guillaume et Sabrina le 30 novembre 2022, retranscrits par Sabrina et traduits par Nicolas.

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Affiche Promo de l'album Human. || Nature. (2020)

Sabrina : La dernière fois que nous nous sommes vus, c'était en Février 2020, pour la pré-écoute de l'album Human. :||: Nature. à Paris. Tout le monde trouvait alors à l'époque complètement fou que vous ayez dû annuler les dates prévues en Chine et on pensait que cette histoire de Covid se terminerait rapidement. Finalement, ça a duré plus longtemps que prévu… Comment as-tu vécu tout ça, et comment vas-tu aujourd'hui ?

Tuomas : Au début du premier confinement, j'ai ressenti un plaisir coupable à rester chez moi et à ne rien faire. Mais après quelques semaines, c'est devenu vraiment dérangeant. J'ai donc commencé à réfléchir à ce que je pourrai faire pour m'occuper, et c'est comme ça que nous avons décidé de réaliser un second album pour Auri. Puis Kai et moi avons décidé de faire un nouvel album pour Darkwoods My Betrothed. Enfin, après tout ça, j'ai écrit toutes les chansons du prochain album de Nightwish. Donc finalement tous ces projets m'ont bien occupé pendant toute cette période de covid, et au moins j'ai été productif ! Mais oui, ça a été très dur pour toute l'industrie musicale, et ça continue de l'être encore aujourd'hui. Je ne sais pas si on arrivera un jour à se remettre complètement de cette étrangeté. Mais aujourd'hui, nous voici ici, enfin, après avoir reporté trois fois cette tournée, et avec des salles plus remplies que jamais. C'est merveilleux. Je crois que les gens étaient impatients de retrouver la musique en concert.

Nicolas : Human. :||: Nature. est l'album le plus recentré sur le groupe et leurs instruments depuis Century Child. Est-ce que tu veux continuer dans cette voie pour le prochain album, ou bien l'orchestre utilisé depuis Once fera son grand retour dans les futurs morceaux ?

Ecoutez la réponse de Tuomas

Tout cela reste encore à voir. Mais nous avons déjà 12 morceaux de prêts, et l'orchestre et les chœurs seront là. Ce sera de nouveau The London Orchestra qui nous accompagne depuis plusieurs albums. Les studios et les musiciens de l'orchestre ont été réservés pour l'été et l'automne prochains. Mais c'est vraiment dur de dire aujourd'hui quelque chose de vraiment concret sur la direction musicale qu'aura cet album. Je pense qu'il est dans la continuité de Human. :||: Nature. et Endless Forms Most Beautiful, un peu comme la troisième partie d'une trilogie. Tout le groupe a écouté les démos dans nos chambres d'hôtels et je leur chantais les paroles pour qu'ils aient une idée de la structure des chansons. Tout le monde semble, sincèrement, super excité par les thèmes et les chansons. Ça me touche vraiment beaucoup et ça m'enlève un gros poids sur le cœur.

Sabrina : Sur scène, vous ne jouez que « Ad Astra » du deuxième CD de Human. :||: Nature., pour des raisons évidentes, mais est-ce que tu aimerais que les autres morceaux soient interprétés dans un autre contexte ? Par exemple en bande originale d'un documentaire sur la nature, « Ad Astra » ayant déjà été utilisé dans une vidéo pour World Land Trust, ou lors d'un spectacle en pleine nature etc ?

C'est une belle idée que d'imaginer un orchestre jouer ce long morceau. Il n'y aurait pas besoin du groupe puisque nous ne jouons pas dessus, sauf au tout début et à la fin. Si un orchestre me demandait l'autorisation de l'interpréter en concert, je serais partant, et je serais au premier rang à l'écouter. Mais pour le moment, rien de tout cela n'est envisagé.

Guillaume : Comment vous est venue l'idée de terminer le concert par « Ad Astra » justement ? C'était évident depuis la sortie de l'album ?

Quand on a commencé à réfléchir à la setlist, j'avais l'idée d'utiliser Ad Astra comme outro, mais c'est Troy qui a dit : « Hey, attendez, et si Floor chantait en live le final, et qu'on se mettait debout derrière elle en ligne ? ». On l'a essayé en répétition, et ça a tout de suite fonctionné, on s'est dit « wow, c'est un super final ! ».

Ad Astra à Paris le 30 novembre 2022 (NIGHTWISH)

Nicolas : Et vous commencez le concert avec « Music » en intro, sans la jouer complètement. Est-ce parce que les couplets sont un peu trop compliqués à enchaîner pour Floor en début de concert, comme nous l'avions déjà lu ?

Je pense qu'elle s'en sortirait sans problème, mais on ne se sentait pas de jouer tout le morceau comme chanson d'ouverture. Peut-être qu'un jour on jouera ce morceau en entier durant le concert, mais pour le moment, on trouve que ça fonctionne parfaitement comme introduction enchaînée avec « Noise ». Mais Floor peut chanter « Shoemaker » sans problème, alors que c'est le morceau de musique le plus compliqué à chanter qui ait jamais été écrit. (rires) Donc ce n'est pas parce que Floor ne peut pas chanter « Music », c'est juste pour des raisons artistiques.

Nicolas : N'en as-tu pas marre, parfois, de jouer certains morceaux, même si ce sont les morceaux cultes des fans ? Je me souviens que c'était le cas pour « Wishmaster » ou « Over The Hills And Far Away ».

Honnêtement, non. Même « Nemo » et « I Want My Tears Back », que j'ai l'impression de jouer depuis des millénaires, continuent de me procurer du plaisir. Dès qu'on sentira qu'on perd un peu l'envie de les jouer, nous les écarterons de la setlist. Mais ce moment n'est pas encore arrivé.

Nicolas : Et au contraire, y a-t-il des morceaux que tu aimerais un jour jouer en live, même si elles sont moins connues du public ?

Oui, j'adorerais jouer « Procession ». C'est un de mes morceaux préférés du dernier album. Mais pour diverses raisons, elle a été mise de côté, on ne l'a même pas répétée. Mais j'aimerais l'ajouter à la setlist un jour. C'est vraiment une chanson sous-estimée, et tout le groupe l'adore.

Guillaume : Des groupes comme Ayreon, Dream Theater ou Metallica ont joué un album entier sur scène, généralement pour une occasion spéciale ou une mini tournée. Est-ce que c'est quelque chose que tu aimerais faire un jour ?

Je n'aime pas trop l'idée de jouer en concert un nouvel album dans son intégralité. Je trouve que ça ne fonctionne pas artistiquement parlant. Mais je comprends bien en revanche l'idée de célébrer un anniversaire, comme celui de Master Of Puppets ou le Black Album, en le jouant alors en entier. La dynamique est différente.

Guillaume : Ça pourrait très bien fonctionner avec un concept album comme Imaginaerum par exemple.

Peut-être oui ! Pour les 20 ans d'Imaginaerum, pourquoi pas. Mais c'est sûr que sur notre tournée actuelle, jamais nous ne jouerons l'album Human. :||: Nature. en entier.

Guillaume : Et pour l'album Once qui est votre album le plus vendu ?

Quand est-ce que ce serait, tiens ? Dans deux ans, c'est ça ? Je n'y ai pas réfléchi. Mais en 2024 nous serons en pleine sortie du nouvel album puis il y aura la tournée qui l'accompagne, donc nous serons concentrés sur ça. Peut-être pour le 30ème anniversaire alors ! (rires)

Sabrina : Vous avez eu la chance de faire des concerts dans de très beaux endroits, comme au Festival de Nîmes l'été dernier, et vous avez même créé votre propre salle de concert sur le DVD live virtuel. Mais est-ce qu'il y a un endroit où tu rêverais de te produire ?

Oui ! Quand c'est techniquement possible, plus c'est ancien, plus j'aime ! Comme Les Arènes de Nîmes dont tu parlais. On a fait un concert dans un cadre un peu similaire en Estonie également, pas loin de Tallinn, dans une vieille cathédrale. C'est une vraie valeur ajoutée pour nous de jouer dans un cadre comme ça.

Photo de Nightwish aux Arènes de Nîmes le 2 juillet 2022

Guillaume : Pourquoi pas un jour un concert en Laponie sous les aurores boréales alors !

Oui, ce serait super. Mais il y a toujours plein de contraintes logistiques… C'est comme le concert qu'on va donner l'été prochain à Kitee, ma ville natale. Cela va être un problème d'héberger tous les gens : il n'y a qu'un seul hôtel et il n'a que 30 chambres !

Nicolas : Oui, on s'en souvient, c'était déjà le cas en 2004 pour le concert à l'occasion de la sortie de Once, on a failli dormir dehors, mais heureusement des habitants nous ont hébergés pour la nuit. (rires)

Et bien l'année prochaine ce sera deux fois plus de monde qu'en 2004 ! Et comme il n'y a que trois restaurants dans toute la ville, il y aura des centaines de zombies affamés dans les rues après le concert. Nous espérons que la ville pourra mettre en place des aménagements pour permettre aux gens d'avoir un endroit où dormir cette fois.

Nicolas : Et vous prévoyez de faire un concert spécial ce soir-là ?

Il y aura forcément quelque chose de spécial pour ce concert. Il faut que le côté « Kitee » entre en compte. Mais on n'a rien décidé encore, c'est dans plus de six mois...

Nicolas : Justement, la dernière fois qu'on s'était vu ici, tu nous avais dit avoir demandé à Tarja de vous rejoindre sur un morceau lors de la dernière date de la tournée « Decades », mais finalement, ça n'avait pas pu se faire. Est-ce que c'est quelque chose que tu envisages toujours ?

Tout est toujours possible. Je ne dis plus non à rien aujourd'hui. Mais c'est quelque chose que nous n'avons pas encore envisagé concrètement.

Sabrina : Jukka, le nouveau bassiste du groupe, chante dans son groupe Wintersun. Est-ce que tu aimerais qu'il chante pour Nightwish, que ce soit en concert ou sur le prochain album ?

On verra comment ça se présentera lors de nos répétitions l'été prochain. Mais il n'avait pas envie de le faire sur cette tournée. Et puis Floor et Troy sont tellement brillants que je ne sais pas s'il reste de la place pour un autre chanteur aujourd'hui. Donc on va bricoler les nouveaux morceaux l'été prochain et on verra s'il y a une place pour son chant.

Guillaume : Quand le DVD du concert virtuel est sorti, tu as mentionné dans une interview que vous n'aviez plus de maison de disque pour le moment. Vous avez quitté Nuclear Blast ?

C'est vrai, on n'a pas de maison de disques actuellement. Donc en ce moment, les grands patrons du management discutent contrats et je reste en dehors de ça.

Nicolas : Tu ne veux pas être impliqué dans le choix de la maison de disque ?

Non ! (rires) Pas de réseaux sociaux, pas de contrats, pas de chiffres. Juste de la musique. C'est le seul moyen pour moi de préserver ma santé mentale. (rires)

Sabrina : Peux-tu nous recommander un livre, une série ou un film que tu as aimé dernièrement ?

Je lis énormément en ce moment. Je pense que le livre de l'année pour moi, c'est « Projet Dernière Chance », d'Andy Weir. C'est l'auteur également de « Seul Sur Mars ». Je ne me souviens pas avoir autant pleuré un jour en lisant un livre. Ce bouquin est incroyable. Je recommande à tout le monde de le lire. L'histoire est un peu similaire à celle de « Seul Sur Mars », cela se passe dans l'espace également. C'est l'histoire d'un astronaute à qui il va arriver quelque chose d'incroyable. Et quant aux vingt dernières pages du livre… Si tu n'as pas les yeux humides à ce moment-là, c'est que quelque chose cloche chez toi ! (rires) Et sinon, en ce moment je lis la série de fantasy « Fils des brumes », de Brandon Sanderson. C'est absolument brillant également.

Nicolas : Et tu ne regardes pas de séries TV en ce moment ?

Non, pas de TV. Plutôt des livres aujourd'hui.

Guillaume : Pas de jeux vidéo non plus ?

Je continue de jouer à « Skyrim » et « Last Of Us » mais c'est tout : j'ai essayé d'autres jeux mais je n'ai pas accroché. En revanche, j'ai encore joué à « Skyrim » avant de partir en tournée. Ça reste le meilleur jeu du monde. A la maison, on joue davantage à des jeux de société.

Sabrina : Peux-tu nous en recommander ?

Le dernier qu'on a découvert, c'est « Eldorado », il est fantastique. Mais on revient souvent aux classiques, comme « Carcassonne » ou « Dominion ». Et on joue parfois un peu aux échecs.

Nicolas : Est-ce que tu as déjà entendu parler de ces logiciels d'intelligence artificielle capables de créer des images à partir d'un mot ou d'un texte ?

Oui ! Jukka (NDLR Koskinen, leur nouveau bassiste) m'en a montré justement il y a quelques jours, c'est incroyable.

Test avec le logiciel Dall-E en donnant une description de la pochette de Dark Passion Play

Nicolas : Je me suis amusé à en créer en donnant une description écrite de la pochette de Dark Passion Play, voilà ce que ça a donné (NDLR avec le logiciel Dall-E par exemple).

Ce n'est pas si mal !

Nicolas : J'ai aussi essayé avec « Wishmaster », le résultat n'est pas aussi bon, mais c'est assez drôle.

(rires) En effet, c'est drôle.

Test avec le logiciel Dall-E en donnant une description de la pochette de Wishmaster

Mais oui, c'est une possibilité merveilleuse mais un peu perturbante en même temps. Et avec Internet et les réseaux sociaux, c'est toujours un peu effrayant. C'est devenu facile de propager des mensonges, des montages photo ou vidéo qui lancent d'horribles rumeurs. Avec une technologie comme celle-là, qui sait ce que ça pourrait donner ? C'est un peu effrayant, mais je pense quand même qu'il y a beaucoup plus de potentiel pour faire de belles choses que des mauvaises.

Guillaume : Tu n'as pas peur que ce genre de logiciels d'intelligence artificielle crée de la musique également, en essayant de copier un style ou un groupe comme Nightwish ?

J'ai déjà entendu des chansons faites par une IA, il y en a plein sur internet. Mais jusqu'à maintenant je n'ai rien entendu d'intéressant dans tout ça. (rires) Mais qui sait ce que ça donnera dans dix ou vingt ans ?

Nicolas : Parlons un peu d'Auri : des concerts sont-ils toujours envisagés ?

On avait prévu des concerts pour 2023 mais c'était avant la pandémie. Aujourd'hui, tout le planning a été revu et ça n'arrivera donc pas tout de suite. Mais on en fera un jour, c'est sûr ! L'idée serait de faire des concerts en Finlande, au Royaume-Uni et en Allemagne, quelque chose comme ça.

Pochette de l'album Legends of Light (2022) par Eye of Melian

Sabrina : J'ai remarqué que tu portais aujourd'hui le tee-shirt d'Eye Of Melian, le projet solo de Martijn Westerholt. On sait que tu es ami avec lui, et que Johanna Kurkela et Troy y ont participé. Est-ce que Martjin t'avait parlé de ce projet ou demandé des conseils, comme cet album a beaucoup de similitudes avec Auri ?

Absolument pas, tout est d'eux. Mais c'est l'album de l'année pour moi, je passe mon temps à l'écouter, il est vraiment brillant. J'ai d'ailleurs rencontré Martijn à Amsterdam la semaine dernière, il est venu voir nos deux concerts.

Nicolas : A propos, c'était super de vous voir rejouer « Phantom Of The Opera ».

Oui, c'était une idée de Floor depuis que cette chanson est devenue célèbre aux Pays-Bas après qu'elle l'ait interprétée à la TV. Elle nous a suggéré de la jouer avec Henk (NDLR Poort, le chanteur néerlandais de l'émission Beste Zangers) et il a accepté de venir, donc ça a été un joli petit bonus à la setlist.

Guillaume : Le concert a d'ailleurs été enregistré. Prévoyez-vous une sortie en DVD, peut-être ?

Non, pas de DVD ou Blu-ray cette fois. Mais on sortira un morceau du concert de temps en temps, ici ou là. En fait, l'idée nous est venue juste deux semaines avant le concert, comme il s'annonçait un peu spécial : les deux dates étaient complètes, et on allait jouer Phantom Of The Opera, donc pourquoi ne pas enregistrer le concert avec le bon équipement ? Ça s'est fait un peu dans la précipitation, du coup.

Tuomas durant notre interview à Paris le 30 novembre 2022