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« Je ne sais pas quel est leur but, mais ils n'y arriveront jamais. Tant qu'il y aura de la musique, de la culture, de la joie de vivre, ils ne pourront jamais nous vaincre. »

Interview de Zaher Zorgati (MYRATH)

Après une longue absence durant laquelle s'est déroulée la révolution de Jasmin en Tunisie, Myrath nous revient enfin, avec un album éponyme positif, gorgé d'espoir, un peu moins dans la veine progressive de son prédécesseur et dans une veine beaucoup plus épique, emprunte d'influences musicales arabes. Nous revenons avec Zaher, le chanteur de la formation, sur ces cinq années écoulées depuis la sortie de Tales Of The Sands, cinq années compliquées à différents égards.

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Propos recueillis à Paris par Sabrina et Guillaume le 23 février 2016, retranscrits par Nicolas.

Guillaume : Es-tu d'accord avec l'idée que Myrath serait au carrefour de trois styles musicaux : le metal symphonique, le metal néo-classique et le metal progressif ?

Zaher : Oui, avec en plus des sonorités tunisiennes. Ce que tu dis est vrai, il y a du symphonique dans notre musique, du progressif - quoique moins que sur notre album précédent, un coté power, un côté heavy, et également de plus en plus de sonorités tunisiennes et orientales.

Photo promo de Myrath (2016)

Guillaume : Justement à ce propos, vous définissez vous comme un groupe de metal oriental ?

On se considère comme un groupe franco-tunisien, car notre batteur et notre producteur sont français. Je ne dirais pas « metal oriental », car déjà, même si beaucoup nous qualifient comme cela, nous sommes maghrébins et nos origines sont berbères. Je le dis à chaque interview : si vous allez au Liban, vous écouterez 100% de musique libanaise, si vous allez en Egypte, vous écouterez 100% de musique égyptienne. Mais la Tunisie est un pays qui a 3000 ans d'existence. Là, on parle d'Hannibal, d'Ulysse. Il y a aussi les roots, la musique berbère amazigh de cette époque là qui vit encore en nous, les groupes gnawa qui sont des groupes tunisiens inspirés par la musique africaine. On a aussi le malouf issu du sud de l'Espagne, donc c'est la musique andalouse. Et issue de l'empire ottoman, on a la musique arabe orientale. La Tunisie est l'un des pays les plus ouverts, si ce n'est le plus ouvert, de tous les pays arabes de l'occident. C'est un mélange fou, riche, une culture musicale très riche par rapport à d'autres pays du Moyen Orient. Si tu vas en Egypte, tu n'entendras jamais de musique andalouse, berbère, tunisienne. rires

Guillaume : Il y a aussi la musique celtique...

Exactement ! Ça a toujours été un échange entre l'Europe et Carthage depuis des siècles. C'est ça la richesse de la culture musicale tunisienne ou maghrébine.

Guillaume : On peut donc vous associer au style d'un groupe comme Orphaned Land. Mais penses-tu qu'on puisse inclure un groupe comme System Of A Down dans ce genre de musique ?

Oui, ce sont des arméniens donc ils font partie de la Méditerranée, c'est presque la même culture. Mais chez Myrath, je pense que nous avons apporté un plus par rapport aux autres groupes de metal occidentaux, qui essayent de mettre une chanson ou deux dans chacun de leurs albums avec des sonorités orientales, mais ce sont des sonorités clichés qu'on trouve dans les films de Hollywood ou dans Asterix, sur les pyramides, avec la gamme mineure. (Zaher fredonne une mélodie orientale typique) Myrath a apporté quelque chose de nouveau dans le metal en général, des sonorités qu'on avait jamais entendu auparavant, qui sont exotiques mais qui passent avec une homogénéité extraordinaire. En tout cas, ce n'est pas moi qui le dis, mais les retours des fans, les échos des chroniqueurs. Ça fait toujours chaud au cœur d'entendre ça, parce qu'au début c'était un peu difficile de mettre des quarts de temps avec autre chose.

Guillaume : Je me posais une question à propos du progressif : qu'est ce qui fait qu'à un moment donné vous vous êtes dis que vous alliez ajouter un aspect progressif à votre musique ? Était-ce par goût, ou était-ce parce que une approche folklorique de la musique se marie bien avec des lignes de métal progressif ?

Non, c'était spontané, par goût. À la base, nous étions un groupe de reprises de Symphony X, et maintenant nous sommes en tournée avec eux ! C'est l'un de nos rêves qui se réalise. Après, en général, du côté du public, nous ne savons pas à l'avance ce qu'il aime. Si tu fais du progressif, le public va te reprocher d'essayer d'imiter Symphony X ou Dream Theater. Si tu fais moins de prog, il te dit que tu t'es éloigné de ce que tu faisais à l'origine. (rires) Si tu fais de l'opéra ou du symphonique, ils te disent que tu fais du commercial. Si tu fais du commercial, ils te disent etc...

Guillaume : Oui, vous ne voulez pas rester prisonnier d'une catégorie précise.

Exactement, cela ne nous correspond pas. Ce n'est pas ce que l'on fait. Je crois que chez Myrath, nous ne sommes jamais en train de calculer, c'est ça le secret du groupe. On travaille en famille, personne n'impose ses influences ou ne donne des ordres. On est tous là, on choisit ensemble avec Kevin Codfert qui est notre boussole et notre oreille occidentale. Il est celui qui tranche, celui qui garde ou qui jette. Mais au final, c'est un vrai travail d'équipe. Il y a Aymen Jaouadi qui a pris l'initiative d'être le parolier du groupe, Perrine Perez Fuentes qui a fait la pochette avec la hamsa, un symbole 100% juif tunisien contre le mauvais œil. On a une carrière de 15 ans, on est encore jeune. On a encore du pain sur la planche, on a encore les pieds sur terre, la tête sur les épaules. Il faut travailler et persévérer. Il faut composer, créer de la musique, innover, mais d'une façon très spontanée. Si ça ne vient pas du cœur, ça n'atteindra pas le cœur des fans. Si c'est mathématique, automatisé, ce sera moins authentique. Il faudrait que des gens qui ne sont pas fans de ce style puissent quand même l'écouter et reconnaître quand même que c'est de la bonne musique.

Pochette de l'album Legacy (2016)

Sabrina : Justement, à propos des paroles, qui sont écrites par Aymen Jaouadi, est-ce que vous lui donner des pistes de thèmes à aborder à partir desquelles il écrit, ou a-t-il une totale liberté ?

En fait, quand je suis arrivé dans le groupe, j'écrivais mes propres chansons. Puis il y a eu l'arrivée de Aymen Jaouadi, notre ami d'enfance, qui nous a proposé d'écrire les paroles. On lui a donné sa chance pour les trois derniers albums, et ça a fonctionné. Puis, Perrine Perez Fuentes et lui ont écouté le dernier album et se sont dits très inspirés pour écrire les paroles, alors on les a laissés faire. Si c'est bien, alors on conserve. Sinon, on essaye de faire progresser les compositions, ou de modifier les paroles. C'est comme ça que nous fonctionnons.

Sabrina : À propos de « Legacy », le titre de l'album qui est la traduction anglaise du mot « Myrath » (qui signifie héritage, pourquoi avez-vous décidé de faire de cet album un album éponyme ?

En fait, ça n'a pas un sens dans le cadre de l'héritage musical, car il a toujours été question d'héritage dans la musique de Myrath en intégrant des sonorités tunisiennes ou orientales dans nos compositions, ce n'est pas nouveau de ce point de vue là. Mais avant son décès, notre manager, le père de Malek, le guitariste du groupe, nous a toujours dit que ce serait cool de faire un album juste intitulé « Myrath ». C'est donc ce qu'on a fait avec « Legacy ». Et c'est un album spécialement dédié à lui.

Sabrina : L'album a pris du temps à faire, il était prévu fin 2014 et est finalement sorti il y a quelques jours. Hormis le décès de votre manager, y a-t-il eu d'autres problèmes ?

Il y a eu ce décès, oui, et les problèmes internes en Tunisie : l'instabilité politique, l'instabilité économique... On n'a plus envie de composer. Il fallait vivre dans ce chaos et ça a pas mal bloqué notre inspiration. Lorsque le pays a retrouvé une certaine stabilité politique, on a repris notre vie normale, et on a recommencé à se questionner à propos de Myrath. Il a fallu tenir bon et revenir après quatre années d'absence. Notre producteur Kevin Kodfert a joué un grand rôle en nous poussant à aller de l'avant.

Guillaume : En tout cas, il est donc plus facile de sortir un album aujourd'hui qu'en 2014...

Exactement, pour promouvoir le groupe et l'album, on a une maison de disque, Verycords et Veryshow, Base Production pour la tournée. On a tout fait dans les règles. Chacun a fait sa tache convenablement, et ainsi ça marche pour le mieux. On avait des compositions mais on n'a pas cherché à composer pour pouvoir vendre un album. Si on fait comme ça, ça ne fonctionne pas chez Myrath. On voulait quelque chose qui marche avec le feeling, avec de vraies inspirations, de vraies compositions. Pas quelque chose de calculé, ça vient du cœur et ça doit atteindre les cœurs.

Guillaume : Maintenant, on aimerait parler du clip « Believer » avec toi. On peut voir dans le générique de fin qu'Ivan Colic de l'Icode Team est le réalisateur. Si je ne dis pas de bêtise, on connaît déjà son studio pour ses clips de Kamelot et Sirenia.

Oui, et Symphony X aussi !

Guillaume : Habituellement, les enregistrements se font à Belgrade. Est-ce que cela a été aussi le cas pour ce clip ?

C'était en Serbie, oui. C'était à Solution Studio avec Ivan, dans un hangar géant avec du chroma key partout, du fond vert ou bleu pour les incrustations. On a ramené un semi-remorque rempli de sable qu'on a étalé par terre. C'était une très belle expérience.

Sabrina : Du coup, il n'y a aucune scène tournée en Tunisie ?

Non, c'est juste de l'image de synthèse. En fait, c'est grâce à nos fans que nous avons pu payer le reste de la post-production, via notre projet de crowdfunding. Sans ce trucage, le prix aurait été multiplié par cinq.

Guillaume : Justement, à propos de votre projet de crowdfunding : les labels ont tendance à se désengager du financement de tout ce qui ne leur parait pas essentiel à la rentabilité d'un album. Et bien souvent, il s'agit du clip vidéo, qui est pourtant un excellent moyen de promotion. Comment expliques-tu cela ?

Oui, c'est une règle générale. Toutes les maisons de disque n'ont qu'un seul souci : celui de gagner de l'argent, plus rien ne doit partir en perte.

Guillaume : Donc ils partent du principe qu'un clip n'est pas rentable à priori ?

Oui, mais c'est un risque à prendre. Pour les maisons de disque, ils se demandent pourquoi s'embêter à faire un clip qui risque de ne pas marcher alors qu'on peut rapidement faire une captation live du morceau avec une caméra 5D.

Guillaume : Et peut-être aussi parce que les clips ne sont plus beaucoup diffusés à la TV.

Exactement, il n'existe plus de chaines comme Rock TV par exemple. Avant on avait MTV, ou MCM, mais ça n'existe plus. Je crois qu'il y a encore une rubrique metal sur une chaîne américaine de MTV, mais c'est tout. Et puis c'est vrai qu'aujourd'hui on n'a plus vraiment besoin de ça : on a internet, on a YouTube, on peut se promouvoir sur les réseaux sociaux. Donc voilà : aujourd'hui, c'est de l'autofinancement ou du crowdfunding. On a vraiment été touché par le geste des fans, je ne parle de l'argent mais de cet amour partagé des fans. On avait besoin de 10000 euros et on les a dépassés. C'est magnifique. Ça vaut plus que l'argent en lui-même.

Sabrina : Oui et ça permet aux fans de se sentir investis avec le groupe.

Voilà, ce sont des co-producteurs. Ils peuvent se dire : "j'ai contribué au clip".

Sabrina : Sur l'inspiration du clip, je n'ai pas pu m'empêcher de voir des clins d'œil à « Prince Of Persia ».

Oui, et à « Assassin's Creed » aussi. Je suis un grand fan.

Clip video de Believer (MYRATH)

Guillaume : Les jeux vidéos font donc parti de tes inspirations. Nous avions interviewé Pierre Le Pape de Melted Space qui nous expliquait que les jeux l'inspiraient beaucoup lui aussi.

Oui, j'avais appris ça, il est fan de jeux de baston. Je suis plutôt FPS, j'adore les jeux de rôle, de stratégie, les jeux comme « Assassin's Creed » ou « League Of Legend ». On aurait pu faire le clip dans la neige (rires) mais avec les sonorités de la chanson, j'ai proposé de faire un mélange entre « Assassin's Creed » et « Prince Of Persia », le prince qui se rebelle contre le roi, toute une histoire dans un monde fantastique se passant dans un monde parallèle au notre, quand je touche le sablier et que je me retrouve dans une autre dimension, etc... J'aime vraiment ça.

Sabrina : As-tu d'autres inspirations ?

J'aime les films fantastiques, j'aime « Game Of Thrones », « Le Seigneur Des Anneaux » etc... Ça me fascine. Le prochain clip, on le fera dans la neige ! (rires) Mais ce sera un autre scénario.

Sabrina : Est-ce que tu avais vu le film « Prince Of Persia » ?

Oui !

Sabrina : Qu'as-tu pensé du fait qu'ils aient pris un acteur (Jake Gyllenhaal) qui n'est pas du tout maghrébin, ni perse, et qui a un visage très européen.

Mais je crois qu'il a bien réussi le rôle, même si c'est Hollywood.

Sabrina : J'avais trouvé ça un peu décevant, comme s'ils n'avaient pas voulu prendre le risque de prendre un acteur perse et inconnu.

Et oui... Mais sinon ils ne vont pas vendre avec une tête pas connue...

Guillaume : Pourtant la licence de jeux vidéo « Prince Of Persia » est assez connu, et si on prend par exemple le film qui va sortir sur « Warcraft », l'acteur principal est relativement peu connu. Ils ont pris ce risque, mais pas sur « Prince Of Persia ».

Sauf que pour « Warcraft », c'est encore plus connu : les fans se foutent de savoir quel sera l'acteur, ils veulent voir leur jeu, leur univers visuel et c'est tout. Par contre sur « Prince Of Persia », le jeu est davantage focalisé sur l'unique héros, qui est le prince.

Guillaume : J'aurais encore une question en rapport avec la Tunisie. Lorsque Epica s'est produit sur scène en 2006 à Tunis, la Tunisie célébrait le premier concert de metal international de son histoire. En 2009, lorsque Anathema a voulu s'y produire, il y a eu des accusations de satanisme que les autorités avaient pris au sérieux. En 2010, ils avaient finalement pu se produire comme ils le souhaitaient. Ma question est donc la suivante : dix ans après le premier concert de metal en Tunisie, est-ce que la situation te semble avoir évoluée ?

Ecoutez la réponse de Zaher

(rires) Je n'en ai aucune idée. On ne peut pas vraiment se focaliser sur la scène metal tunisienne, on ne peut pas juger pour le moment seulement cinq ans après. Le pays est vraiment préoccupé par des soucis beaucoup plus importants que la scène metal. Quand tu cherches à faire des festivals de metal ou de rock, ils te répondent que ce n'est pas leur priorité. La priorité du gouvernement, c'est la stabilité économique et sociale. Pourtant, personnellement, j'ai un autre point de vue : en général, l'art, c'est l'opium du peuple. Tu ne peux pas bâtir un état sans culture, sans art, sans musique, sans cinéma, sans festival.

Guillaume : Ce que je lisais dans une interview récemment, c'est qu'aujourd'hui il y a davantage de liberté en Tunisie et qu'il y en aurait presque trop dans le sens où ça amènerait de l'instabilité supplémentaire. C'est paradoxal, qu'en penses-tu ?

Exactement. Avant, il y avait moins de liberté, mais il y avait quelqu'un qui gérait tout ça, c'était Ben Ali. Il a tout fait, en plus de s'en mettre dans la poche, pour empêcher ce que nous appelons aujourd'hui les Frères Musulmans de l'Ennahdha de parvenir au pouvoir. Donc quand il s'est fait dégagé, les frères musulmans sont montés rapidement. Puis ils se sont faits dégagés aussi, et le parti islamiste est arrivé.

Guillaume : Tu restes sceptique, ou tu trouves que c'est mieux aujourd'hui ?

Non, bien sûr. Au niveau de la liberté d'expression, c'est mieux maintenant. Mais du point de vue de la culture, c'était bien plus pris en compte avant : on avait plus de responsabilité et d'intérêt pour l'art. Mais c'était un peu orienté : il n'y avait pas la liberté d'expression comme maintenant, c'est vrai. Donc, tu ne pouvais pas parler de politique etc... Mais au moins, il y avait des aides et des festivals.

Zaher et Anis sur la scène de La Machine du Moulin Rouge, à Paris, le 23 février 2016

Guillaume : D'ailleurs, c'était même une sorte de symbole que Epica soit le premier groupe à jouer en Tunisie, car leurs morceaux parlent souvent d'athéisme et des dangers de l'extrémisme.

Exactement. Et même maintenant, dans Myrath, on parle de révolution, notamment dans la chanson « Get Your Freedom Back ». La première phrase est : « Fight everyday for your freedom of mind ». Il faut se battre tous les jours pour la liberté d'expression, la liberté de choix, de vie. C'est notre devise et c'est notre message dans Myrath. C'est l'espoir, la joie de vivre, partager de l'amour, partout, combattre l'obscurité, surtout, cette obscurité qui se traduit par des actes barbares en provenance des extrémistes et des Etats qui aident les extrémistes, comme Daesh, l'Arabie Saoudite, le Qatar etc... Je ne sais pas quel est leur agenda ou quel est leur but, mais ils n'y arriveront jamais. Tant qu'il y aura de la musique, de la culture, de l'art, du cinéma, des gens avec la joie de vivre, ils ne pourront jamais nous vaincre.

Guillaume : Une dernière question : y a-t-il une chance que vous fassiez un jour une tournée en tête d'affiche ?

Peut-être bien... Il faudra demander à notre producteur ou à notre manager, mais normalement, oui : c'est prévu pour la fin de l'année.

Guillaume : Merci beaucoup d'avoir répondu à nos questions !

Merci à vous, c'était un plaisir. Et un petit coucou à vos lecteurs.