Nicolas : Tout d'abord, comment vas-tu ?
Marco : Plutôt bien ! Nous sommes en tournée depuis trois semaines, et ce soir (à Paris, NDLR) c'est le dernier concert. Ils se sont tous bien passés, les gens ont été très sympas, accueillants et enthousiastes. Je n'ai vraiment pas à me plaindre.
Nicolas : Parlons tout d'abord de l'album : à quel moment as-tu réalisé que tu avais envie de faire un album solo ?
Il y a bien longtemps. C'était quelque chose qui me trottait dans la tête depuis au moins deux décennies. (rires) Et puis l'occasion s'est présentée lorsque Nightwish a fait son année sabbatique. J'avais suffisamment de contenu pour construire des chansons, et certaines étaient prêtes depuis longtemps. J'ai donc contacté Tuomas Wäinöläs et Villi Ollila et je leur ai demandé si ça leur disait d'essayer de trier un peu tous ces morceaux dont je leur avais parlé. Ils étaient très enthousiastes et ont accepté immédiatement et on a alors commencé à enregistrer et à apporter de nouvelles idées à des morceaux en construction, notamment lorsqu'il y avait des parts manquantes. Par exemple, il manquait un pont pour « The Voice Of My Father ». Je cherchais de bons accords et puis finalement Villi a proposé quelque chose, et on s'est dit que c'était ce qu'on cherchait. Et voilà !
Nicolas : D'où viennent les inspirations pour cet album ?
C'est assez dur de répondre car ça vient de plein de choses différentes et d'idées assez anciennes que j'avais eues. Parfois, ce que je compose va finalement être utilisé pour un groupe de metal comme Nightwish, et d'autres fois, ça va être mis de côté car ça ne correspond à ce qu'on veut pour le groupe. Et puis y a des choses plus personnelles, et c'est aussi ce qui fait que cet album balaie plusieurs styles musicaux, du rock un peu metal au rock progressif de mon enfance.
Hugo : Tu as donc commencé l'écriture de tous les morceaux en solo, avant que les autres membres qui sont avec toi sur l'album n'arrivent ?
J'avais pratiquement pour chaque morceau les paroles, des mélodies pour des couplets, des refrains et quelques structures musicales à gauche à droite, oui. De toute façon c'est toujours un travail un peu solitaire de composer. Et quand tu n'es pas certain du résultat, c'est bien de pouvoir faire écouter ton travail à des musiciens versatiles qui auront une vision plus large des choses. Bien sûr, savoir qu'ils me font confiance et m'aident sur ma composition me pousse à avoir encore plus d'inspiration, mais la grande majorité des morceaux vient de moi. Et parfois c'est une simple ligne musicale que j'ai notée il y a 15 ans quelque part, en me disant que je pourrais en faire quelque chose un jour, en le combinant avec un autre riff que j'avais trouvé à côté etc...
Nicolas : Et donc au final, est-ce qu'il faut voir cet album, par « Marko Hietala », avec un « k » au lieu du « c » habituel, comme un groupe, ou plutôt comme un album vraiment solo ?
Et bien justement, je ne sais pas trop. Ça a commencé vraiment comme quelque chose de solo, puis c'est devenu un peu une sorte de groupe par la suite avec notre travail en commun. Aujourd'hui nous faisons une tournée ensemble et c'est vrai qu'il s'en est dégagé une belle entente et une bonne harmonie entre nous et de cette harmonie est né un groupe. Mais ça ferait un peu bizarre d'appeler un groupe par mon propre nom, donc pour le moment, continuons de dire que c'est un projet solo, sans nom de groupe.
Nicolas : Comment s'est passé l'écriture des paroles en finnois et en anglais ? Est-ce qu'il s'agit de traductions littérales ou bien les idées diffèrent-elles selon la langue ?
A la base, je voulais sortir un album qui mélangeait des chansons en anglais, et d'autres en finnois. D'ailleurs, certains morceaux étaient écrits en finnois uniquement, et les autres en anglais uniquement. Et puis ensuite j'ai quand même réfléchi de nouveau à la question, et je me suis dis qu'il y avait un gros contraste entre l'anglais, cette langue internationale du rock'n'roll et le finnois, qui est un langage tribal parlé par seulement six millions de gens. (rires) C'est pourquoi j'ai décidé de faire deux albums distincts, et que j'ai traduit les chansons en finnois vers l'anglais, et celles écrites en anglais vers le finnois. Mais franchement, je pense que je ne le referai plus, et que la prochaine fois, ce sera un seul album, et un mélange des deux langues si j'écris des morceaux en finnois.
Hugo : Quelle place donnes-tu à la culture finlandaise dans ta musique, et est-ce que tu souhaites la mettre plus en avant ?
C'est ce que j'ai fait consciemment sur cet album. Par exemple quand j'ai composé le morceau « Stones », il y avait un riff qui ressemblait un peu à du Black Sabbath, et en même temps il y avait une mélodie qui ressemblait beaucoup à ce qu'on peut retrouver dans des chansons traditionnelles finlandaises. J'ai trouvé que les deux se mariaient bien ensemble, car ça donnait une touche un peu exotique au morceau. C'est la même chose dans le morceau « Death March For Freedom », la façon dont la mélodie se déploie est aussi proche du folklore finlandais, tout en étant plus complexe quand même.
Hugo : La plupart des morceaux de l'album ont une certaine sonorité traditionnelle, par exemple « Runner Of The Railways », dans laquelle le violon joue la même mélodie que la guitare. Quelle part donnes-tu à la musique traditionnelle dans ton travail ?
En fait j'avais la mélodie écrite et j'avais aussi une sorte de riff assez simple, et je me suis dis qu'en les mettant ensemble, ça donnerait un mélange de metal assez folk et de stoner rock, et c'est ce qui s'est passé. En plus ce morceau a un côté un peu comique, et son message pourrait se résumer à « Don Juan, c'est des conneries », donc rajouter encore un peu de musique du style orient express dans un morceau qui parle de chemins de fer, c'était marrant.
Hugo : Tu as ajouté dans l'album de nombreux sons très différents et parfois assez inattendus, comme des sonorités électroniques avec un synthé modulaire, ou le beat dans « For You » et « I Am The Way ». L'album mélange parfois un son hard rock et des textures beaucoup plus acoustiques, et ce dans un même morceau. Comment as-tu fait ce genre de choix ?
Dès le départ nous avions l'envie de ne pas nous imposer de limites ni de règles dans la façon dont nous arrangerions les morceaux. Nous sommes issus du milieu du rock, du hard rock et du metal, mais plus on avançait, plus on voulait explorer d'autres sonorités. C'est venu naturellement pendant notre collaboration. Par exemple, pour « I Am The Way », il était convenu, qu'au début du morceau, il n'y aurait pas de gros son heavy, mais de l'électronique, puis le groupe mis en avant. Pour tous les autres sons électroniques, c'est Tuomas qui s'en est occupé quand il a commencé à travailler avec le synthé modulaire. J'avais une ligne musicale que je jouais au violoncelle et que Tuomas a rentré dans un filtre électronique, ce qui a donné un son réverbéré intéressant. C'est ce qu'on peut entendre dans la chanson.
Nicolas : Pour conclure sur cet album, est-ce que tu le vois comme le premier d'une longue série ou bien c'était une sortie unique dans ta carrière ?
Je pense qu'il y en aura d'autres. Après la tournée avec Nightwish, j'aurai un peu de temps libre en 2021 et ce sera l'occasion de voir un peu ce qu'il nous reste dans nos cartons pour composer un deuxième album. Je pense d'ailleurs que Tuomas, Ville et les autres membres du groupe avec qui je fais la tournée seront dès le début plus impliqués dans l'écriture des prochains morceaux.
Nicolas : Nous avons maintenant quelques questions sur la tournée. Tu ne joues aucun morceau de Nightwish ou de Tarot, alors qu'on aurait bien vu une reprise de « The Islander » par exemple. Pourtant, tu reprends trois autres artistes (Hector, David Bowie, Black Sabbath). Est-ce voulu ?
Tout à fait. On avait envisagé de faire une jolie version de « The Islander », parce que pour beaucoup de gens c'est une chanson qui me va bien. Mais le problème c'est que j'ai fait un album en finnois et en anglais et que les gens étaient déjà en train de débattre sur quelle version était la mieux entre les deux langues. J'ai enregistré toutes les chansons dans les deux langues pour que les gens puissent choisir et malgré tout ils se disputent là-dessus. Alors je me suis dis que si je reprenais un morceau de Nightwish ou de Tarot, on aurait le droit aux mêmes débats un peu stériles : « cette version est mieux », « ce passage là est mieux », « Nightwish aurait fait ça » etc... Je n'avais pas envie de relancer les gens sur ça.
Nicolas : Le nouveau single de Nightwish, « Noise », parle de notre dépendance à la technologie, notamment avec nos smartphones. Lors de l'intro de la tournée « Decades », vous diffusiez un message demandant aux gens de ranger leurs téléphones et de profiter du moment présent. Quel est ton avis sur tout ça ?
Je suis partagé : j'aime cette technologie, car elle me permet de parler à ma famille de n'importe où, et cela permet aussi d'avoir toutes les informations des quatre coins du monde : les Panama Papers, les frasques de Trump... Tout le monde a accès à l'information avec la technologie, et pour ça, je trouve ça très bien. J'adore la science, et elle peut nous aider dans bien des domaines, comme le fait d'être trop nombreux sur Terre et que la technologie peut nous aider à nous en sortir. Mais bien sûr, il y a l'autre côté des choses, où les gens ont tendance à rester fixés sur leurs téléphones. Avoir une magnifique photo d'un arbre est une chose, mais aller dehors, pouvoir le toucher, le ressentir, ça en est une autre. Je pense qu'il faut juste arriver à trouver le juste milieu dans tout ça, et à ne pas oublier de vivre sa vie au lieu de regarder celles des autres.
Hugo : Quelles différences y a t-il entre cette tournée, et les tournées avec Nightwish ?
Nightwish, c'est une grosse machine bien huilée, avec des gens que je connais depuis des années, et où on a tous nos marques. Et finalement, faire une tournée avec Nightwish, c'est avoir moins de responsabilités. Ici, on me dit que je suis le grand leader de la tournée, mais je réponds « merde, c'est quoi ça ? » (rires) Là, j'ai effectivement la responsabilité d'être sur le devant de la scène, alors que pour Nightwish je suis un peu plus noyé dans la masse. C'est plus tranquille, et j'avoue que j'aime bien !
Nicolas : Troy nous avait dit que Auri, c'était le petit yacht qui navigue tranquillement, là où Nightwish était l'énorme paquebot de croisière. Tu ressens la même chose aujourd'hui ?
Oui c'est ça ! Et puis c'est vraiment agréable de venir rejouer dans des petites salles. Nightwish est devenu un trop gros groupe pour pouvoir faire ce genre de salles, et pourtant, c'est génial de pouvoir être si proche du public, de pouvoir les voir de près, ça facilite tellement le partage entre les artistes et le public.
Nicolas : Pour finir, tu as choisi de ne pas chanter de chanson en finnois, en dehors des concerts en Finlande ?
J'en chante une, si, mais c'est une reprise. (rires) J'avais réfléchi à chanter une ou deux chansons de mon album en finnois, mais finalement je ne l'ai pas fait. J'avais aussi essayé de traduire la reprise d'Hector en anglais, mais ces gars sont vraiment des paroliers hors pair en finnois, et c'était tellement dur que je me suis retrouvé bloqué dès le premier couplet, alors j'ai laissé tomber. (rires)
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